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Bertrand des BeKa ("A-lan") 3/3 : « J’ai la nostalgie du futur »

Par Charles-Louis Detournay le 6 juillet 2022                      Lien  
Troisième et dernière partie de notre rencontre avec les BeKa, pour évoquer leur troisième série qui débute chez Dupuis. « A-lan » met en scène un tandem de jeunes adultes aux prises avec leurs étranges parents et avec un complot ourdi par le plus grand des pirates informatiques. Leur solution ? Pénétrer eux-mêmes dans les limbes de la toile et programmer un robot plein d’empathie et fan de la série « Virtual Walking Dead » !

Le 1er juillet dernier vous avez publié le premier tome de la série A-lan, qui s’adresse cette fois à un lectorat un peu plus âgé. Vos héros luttent contre de petites psychoses mais pas uniquement ?

Bertrand des Beka : C’est Caroline qui l’a compri la première : A-lan est avant tout une histoire de filiation, plus que de rapport à l’autre. En effet, les six personnages principaux ont un problème de lignée, avec leurs parents ou leurs ascendants. Par exemple, Émoji le surdoué de la programmation est envahi par ses trois mères, très gentilles, mais malheureusement castratrices. Elles veulent tout faire pour son bien, mais provoquent l’effet contraire…

… Ce qui explique les difficultés émotionnelles de votre jeune héros ? Surtout avec les filles.

BdB : L’un induit effectivement l’autre. Émoji reproduit inconsciemment cette angoisse quand il a trois personnes en face de lui. Ça lui rappelle ses trois mères qui ont, en plus, trois personnalités très différentes. Il y a la maman gâteau (= maman câlin), la maman dure et la maman férue de développement personnel, qui analyse tout. Donc le pauvre Émoji n’a aucune porte de sortie : quoi qu’il fasse, il est bloqué par une des trois, ce qui engendre ses problèmes psychologiques.

Bertrand des BeKa ("A-lan") 3/3 : « J'ai la nostalgie du futur »
Emoji aux prises avec ses trois mères
© Dupuis

D’où viennent ces psychoses ?

BdB : Ces psychoses naissent pour chacun d’une histoire familiale toxique. Même le discours du « Grand Troll » exprime cette difficulté. On peut donc se poser la question de l’aspect volontaire de ces psychoses. Pour Nao par exemple, elle ne peut pas sortir de chez elle parce que tout a été fait pour qu’elle ait peur du monde extérieur. Quant au Grand Troll qui lutte contre le monde entier, il se bat essentiellement contre sa mère, même s’il n’en a peut-être pas totalement conscience. C’est donc un prisme de lecture proposé au lecteur.

Un précédent album des mêmes auteurs
© Dargaud.

On peut saluer le travail de Thomas Labourot tant sur le dessin que la couleur avec qui vous avez terminé Les Fées Valentine

BdB : Tout a démarré lors d’une conversation téléphonique. Thomas me décrivait la bande dessinée qu’il rêverait de réaliser pour les ados. Sa description collait complètement à l’univers d’A-lan qu’on avait déjà mis en place depuis quelque temps : c’était bluffant ! Du coup, je lui ai dit : « Je t’envoie un truc, tu me dis ce que tu en penses ? ». Et bien entendu, cela lui correspondait totalement.

Thomas Labourot s’est donc approprié le récit ?

BdB : Plus que cela : l’univers d’A-lan est avant tout le sien ! C’est une évidence : il apporte plein d’idées et d’innovations, comme tous les aspects technologiques. Il s’éclate et c’est très chouette. Et puis, il se lâche de plus en plus dans la mise en page du tome 2, en étant plus audacieux. Il déstructure le damier classique, pour adopter une approche manga qui est très efficace. Sans oublier les personnages qu’il a extrêmement bien réussis. Comme Alalula qui est extraordinaire !

Alalula en pleine action... virtuelle !
© Dupuis

A-lan dispose d’un équilibre entre sensibilité et action. C’est aussi un récit qui surprend le lecteur à tout moment

BdB : La suite va être tout aussi surprenante parce qu’effectivement, ce premier tome ne laisse pas forcément envisager dans quelle direction l’histoire va se prolonger, mais c’est tout l’intérêt. J’espère que les lecteurs nous suivront parce qu’il y a quand même des surprises qui arrivent.

Est-ce important pour vous d’imaginer les relations entre les humains et les IA ?

BdB : Je me suis rendu compte qu’en réalité, j’ai en fait la nostalgie du futur. J’adore l’Histoire bien sûr, mais je n’ai pas envie de la revivre. D’un autre côté, depuis que je suis tout gamin, je ressens une forme de curiosité pour demain, comprendre ce qui va se passer, qui sera forcément différent de ce qu’on imagine maintenant. À la fois, j’ai envie de savoir et je me rends compte que je dois en faire mon deuil car je ne vais quand même pas vivre 300 ans. Il y a des choses qui m’échappent et je me plais à les imaginer, pour envisager les diverses possibilités qu’elles pourraient prendre. Tout ça me plaît énormément. Sans doute suis-je donc nostalgique de ce qui va se passer demain….

Comment avez-vous imaginé ce robot tueur, P-Dro, qui aurait pu faire peur, mais qui se retrouve gratifié d’une myopie et d’un accent mexicain ?

BdB : Je me suis rappelé ce Mexicain typique des anciens westerns, qui vide un chargeur sur le héros et le rate systématiquement, ce qui était ridicule. L’idée m’a pris de reproduire ça dans le futur : ce robot-tueur va donc tirer tant qu’il peut sur nos héros, et va les rater car il ne voit rien. Bon, à force de tirer, il finira bien par toucher sa cible, mais nous laisserons le lecteur découvrir à quelle occasion.

Une précision néanmoins : je n’ai nullement voulu me moquer de l’accent espagnol. Je dispose également d’un accent très marqué, celui du sud-ouest, ce qu’on me m’a déjà fait remarquer à plusieurs reprises. Ce robot a donc l’accent pour coller à cette figure iconique du mexicain des westerns et certainement pas me moquer de celui-ci.

Les bugs de P-Dro sont interprétés comme des gages de qualités par le Grand Troll
© Dupuis

Vous présentez aussi notre futur, avec les bons et mauvais côtés d’une société hyper connectée aux réseaux. Une façon de cornaquer les dérives potentielles ?

BdB : Ce n’est pas le support qui peut rendre l’être humain mauvais. Notre méchanceté s’est exprimée depuis la préhistoire pendant laquelle des hommes ont dû commettre des atrocités avec un simple caillou. Si on donne à ces gens des engins plus évolués, ces mêmes crétins resteront des abrutis capables de violence ou d’intolérance. Ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas craindre les évolutions et les progrès. Au contraire, peut-être que les progrès peuvent même mettre plus efficacement un frein à certaines dérives. C’est du moins ce que j’espère.

Et la solution que vous proposez est d’entrer en relation avec l’autre, pour accepter ses différences ?

BdB : Oui… et puis douter ! Arrêter d’avoir des certitudes ! Aucune certitude ne résiste au temps, absolument aucune, pas plus que les idéologies. On peut avoir des idéologies bien entendu, mais il faut aussi se rendre compte qu’elles n’existaient pas lors de la construction des pyramides, et elles n’existeront sans doute plus dans 4000 ans. Donc, acceptons de douter et acceptons également la réalité des choses.

Au-delà de ces trois nouveautés chez Dupuis, on peut remarquer que vous avez lancé six nouvelles séries en l’espace de dix-huit mois environ. S’agissait-il de projets qui attendaient les bonnes personnes pour se concrétiser ?

BdB : C’est exactement ça. Il fallait rencontrer les bons éditeurs, les bonnes personnes… Et de manière générale, que les planètes s’alignent. Tout simplement.

Avez-vous d’autres projets ?

BdB : Nous avons encore pas mal d’idées en réserve, dont quelques-unes qui me tiennent vraiment à cœur, que j’aimerais bien développer. On verra.

Fallait-il ces vingt années pour trouver les bonnes conditions propices à vos idées ?

Certainement. C’est aussi 20 ans pour s’autoriser soi-même à mener certains projets. Pour se dire que finalement, ses idées peuvent plaire et ont donc de l’intérêt. C’est un cheminement personnel, mais qui s’accompagne d’une histoire plus globale avec les bonnes et les mauvaises rencontres. Bref, la vie quoi !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791034752713

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