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La Peur Émeraude - Par Lucas Nine - Ed. Les Rêveurs

Par Romain GARNIER le 10 avril 2024                      Lien  
Avec La Peur Émeraude, Lucas Nine a bâti une somptueuse conclusion à cette fresque parisienne de la Belle Époque, inaugurée en 2022 par le titre Delicatessen : tout est bon . On y retrouve René Dulac, chroniqueur mondain du quotidien Le Siècle, sous ses atours de batracien masqué. Il engage le fer avec le criminel Henri le cochon dans un duel épique, plus que jamais déterminé à faire la lumière sur les plans machiavéliques de ce génie du mal. Plongez dans l’univers dense et surréaliste de Lucas Nine, une comédie humaine pleine de verve et d’inventivité au graphisme déroutant.

Une fable burlesque et fantastique dans le Paris de la Belle Époque

Delicatessen mettait en scène René Dulac, un chroniqueur mondain au corps toujours humide, moqué par ses condisciples. Un soir, il est prié par son patron d’accompagner Eugène Concombre, un éminent critique du journal Le Siècle, dans ses errements nocturnes.

Leurs pérégrinations hasardeuses les conduisent au cabaret du Gai Cochon, un lieu peu recommandable. Au terme du spectacle, à la faveur d’une inattention, Eugène Concombre parvient à s’éclipser en poursuivant Henri le cochon, maître des lieux. René Dulac part à sa recherche. Le brillant journaliste est retrouvé mort, le corps gisant au milieu d’une rue.

La Peur Émeraude - Par Lucas Nine - Ed. Les Rêveurs
© Éditions Les Rêveurs

Rouletabille, journaliste d’investigation qui a récemment intégré la rédaction du Siècle, promet de venger l’homme et demande son concours à René Dulac. Peu convaincu par ce jeune homme à la mèche rebelle, il découvre par hasard que plusieurs affaires criminels parisiennes semblent accuser Henri le cochon. Celui-ci échafaude une conspiration, entouré de ses petits rats d’Opéra, Mouchette, Odile et Marie-Thérèse, ainsi que son fidèle homme de main, Fauchard. Son plan diabolique ? Contrôler le marché alimentaire car, selon ses mots, « nourrir une nation, c’est posséder son âme ». Le récit se clôt provisoirement autour de la table du crime à laquelle siègent Prométhée le canard, Bout de Souffle le homard et la Vache qui rit. René Dulac, batracien de son état, refuse de se joindre à eux.

© Éditions Les Rêveurs

Dans ce nouvel opus, La Peur Émeraude est l’identité secrète sous laquelle René Dulac agit désormais. Sous son costume noir, il use de ses pattes de batracien pour sauter de bâtiment haussmannien en bâtiment haussmannien. De la Salpêtrière à l’Opéra, des Halles au cabaret du Gai Cochon, l’amphibien masqué mène son enquête afin de confondre l’infâme Henri le cochon. Cet adversaire, sous différentes identités, tente de mener à bien son délirant et machiavélique projet de dominer ses contemporains.

© Éditions Les Rêveurs

Le dessin impressionniste au trait de crayon, ambiance pastel

Le graphisme de Lucas Nine est incontestablement déroutant. L’imprécision régulière du dessin des personnages, et, parfois, de l’action elle-même, fait plisser les yeux. On se prend à vouloir scruter, à discerner, à rechercher l’exactitude du trait auquel on est habitué. Or, ce parti pris graphique s’insère avec brio dans l’époque du Paris des peintres impressionnistes. Là où les paysages revêtent parfois une précision photographique, les personnages et les actions s’expriment souvent sous forme de sensations visuelles. Les formes, les couleurs et les lumières nous guident dans la lecture et la compréhension du récit. On finit par être très attentifs aux mouvements, aux courbes.

© Éditions Les Rêveurs

Au-delà de ce dessin impressionniste, on décèle l’inspiration du dessin de presse et de l’illustration du XIXe siècle, Honoré Daumier le premier. On relèvera également des influences de son brillant dessinateur de père, Carlos Nine, qui aimait amalgamer les techniques de création en bande dessinée. Enfin, puisant probablement à de communes inspirations, le travail de Carlos Nine évoque les univers fantastiques de Nicolas de Crécy.

Un univers pétri de références à la culture littéraire et cinématographique françaises

Cette fresque de la Belle Époque rend hommage, non sans un certain brio, à la culture française. Les deux albums sont très référencés. La lecture n’en devient que plus riche et agréable. Gérard de Nerval, le professeur Charcot, les créations de Benjamin Rabier (dont le canard Gédéon et la Vache qui rit), le cinéma des Frères Pathé (Le Cochon danseur), Gaston Leroux, les impressionnistes, de hauts lieux parisiens, sans compter des références aux premiers surhommes français et aux génies du mal de la littérature populaire (Fantômas…). La créativité française est célébrée avec quelques références à la culture belge (Tintin) et allemande (Sigmund Freud).

© Éditions Les Rêveurs

Des références qui n’occultent pas la très grande qualité du scénario. Les personnages, anthropomorphiques et humains, ont des personnalités savoureuses, admirablement campées. Le rythme est enlevé. L’humour se mêle au drame, l’absurde des situations nourrit une forme de surréalisme omniprésent. Quant aux dialogues, ils sont ciselés, poétiques et d’une très grande finesse. La France de la Belle Époque par Lucas Nine ? On en redemande !

© Éditions Les Rêveurs

(par Romain GARNIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782378941260

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