Clandestino, T1 - Par Marazano et Bufi – Editions Bamboo

Gabriel fait partie de ces jeunes immigrés qui veulent tenter leur chance aux États-Unis. À peine arrivé en compagnie de sa jeune sœur, le jeune Vénézuélien se fait arrêter par la police. Parmi ceux qui dirigent l’intervention, Redmond un ancien militaire reconverti chez les gardes-côtes, l’approche pour lui proposer un étrange marché : la nationalité américaine et une famille d’adoption pour lui et sa sœur à condition de travailler pour lui...

Cupide et cynique, Redmond dirige des affaires louches avec les pays d’Amérique du sud. Profitant de la confusion entretenue par l’état de guérilla permanente, les rivalités entre militaires et bandes mafieuses qui minent ces régions, le vétéran a choisi de travailler pour son propre compte en se livrant au trafic d’armes.

Dépourvu d’état d’âme et vulgaire, ce « ripou » version mondialisation a besoin d’un associé maîtrisant parfaitement la langue et les coutumes locales pour mener à bien ses affaires. Avec Gabriel, il a trouvé un précieux allié : natif, connaissant parfaitement le terrain, le jeune homme devra permettre à Redmond de faire fructifier son business. Le clandestin n’ayant guère la possibilité de refuser, le voilà de retour dans son pays d’origine pour aider son mentor « à se faire un max de blé ! ». Les relations entre le policier corrompu et l’immigré sont faites de méfiance, de mépris et de soupçon. S’enrichir pour l’un, intégrer une société plus juste pour l’autre... Chacun a compris que ces ambitions sont intimement liées à ce sinistre contrat. Leurs échanges sont brutaux, tendus, des rapports de maître à esclave au rôle parfois flou.

Ambiances et couleurs très cinématographiques....

Curieux contrat entre deux hommes dont on perçoit les conséquences tragiques dans le prologue de l’album où les deux héros se retrouvent vingt ans plus tard en fâcheuse posture aux mains de guérilleros africains.

Comment en sont-ils arrivés là ? C’est à partir d’un long flash back que les auteurs vont nous faire revivre l’itinéraire des deux hommes. Un procédé habile pour ménager un suspense qui tiendra le lecteur en haleine pour les deux tomes à venir.

Scénariste révélé notamment par Le Complexe du chimpanzé (Dargaud), Eco Warriors ou Le Protocole du pélican, Richard Marazano poursuit son exploration singulière de notre monde et de ses travers. Avec ce nouveau triptyque, il revient sur des thèmes contemporains : l’ambition sociale, le cynisme des trafiquants d’armes dont le terrain de jeu s’étend à la planète entière. Nourri de cinéma américain (on pense ici à Lord of War d’Andrew Niccol avec Nicolas Cage), passionné de sciences et de politique il porte à nouveau un regard personnel, sans complaisance sur la condition humaine. Si cette histoire s’inscrit dans un contexte ô combien crédible, Marazano s’attarde aussi sur ces deux personnages brutaux et rigides dont on perçoit vite les fêlures. Derrière les scènes d’action et le réalisme des situations se dessinent les restes d’humanité de personnages fracassés par l’ambition, le pouvoir des armes et de l’argent. Un monde cynique et impitoyable, le nôtre !

Ennio Buffi a surtout travaillé en Italie, notamment pour la série Geronimo Stilton. Pour sa première collaboration avec un scénariste français, il parvient à rendre à la fois crédible et sensible cette histoire au réalisme froid. Son trait souple et fin s’accorde avec une mise en couleurs efficace qui fait la part belle aux ambiances très cinématographiques d’un récit sombre et désespéré.

Une nouveauté à découvrir et dont la suite s’annonce passionnante.