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Craig Thompson ("Space Boulettes") : « J’ai besoin de me recréer moi-même à chaque projet »

Par Charles-Louis Detournay le 21 mars 2016                      Lien  
Baleines de l'espace, gang de motards interstellaires, stations orbitales de luxe... Une grande odyssée galactique par l'auteur de Blankets et Habibi !

Dès le choix du titre, il a fallu composer pour maintenir tout le sens que vous vouliez lui donner. Est-ce pour ces raisons de traductions que la postface de votre livre est si complète ?

Craig Thompson ("Space Boulettes") : « J'ai besoin de me recréer moi-même à chaque projet »Oui, ce fut une réelle entreprise pour le traducteur ! Plus que dans mes autres livres, Space Boulettes regorge de jeux de mots et d’allusions diverses. Même une partie des Américains ne pouvaient pas saisir la totalité des références, car elles sont issus du Mid-West des Etats-Unis qui possède sa propre culture. Je suppose donc que des natifs de Los Angeles ou New York n’en auraient pas non plus saisi toutes les subtilités.

Ces particularités sont contrebalancées par l’universalité de votre propos : une cellule familiale soudée, et une jeune fille qui part à la recherche de son père, disparu ?!

Ma volonté première était de réaliser une comédie, un propos plus drôle et qui s’éloignait de mes précédents livres. J’ai besoin de me recréer moi-même à chaque projet. Mon précédent livre Habibi fut long et accaparant, voire même sombre de temps en temps. Après celui-ci, je voulais donc réaliser un récit plus espiègle et humoristique. Je veux éviter de m’ennuyer ! Puis, cela fait partie selon moi du processus artistique : s’asseoir et repartir d’une page blanche.

Si vous aimez tellement passer d’un univers à l’autre, on peut s’étonner que vous ne réalisiez pas des récits plus courts ! Une façon de vous impliquer dans vos personnages ?

Effectivement, voilà un excellent conseil ! (rires) En effet, maintenant que j’ai fini Space Boulettes, je suis en train de débuter un récit plus court, ou une série…voire peut-être un webcomic !

Je ne critiquais pas le fait de réaliser un long récit : c’est un vrai défi de maintenir l’attention du lecteur en versant varier le rythme de l’histoire !

Oui, mais je pense que travailler justement avec une pagination plus restreinte représente un autre forme de gageure pour moi.

Que recherchiez-vous avec Space Boulettes que vous n’aviez pu expérimenter précédemment ?

Du plaisir pur, à par exemple dessiner des vaisseaux spatiaux. J’ai donc beaucoup challengé l’enfant de dix ans que j’étais, tout en concrétisant un de mes rêves de jeunesse avec ce récit ! J’ai beaucoup pensé à certains films de Pixar tels que Wall-E ou Toy Story pour construire cette aventure dans l’espace, tout en maintenant à maintenir les différents degrés de lecture pour les adultes. Ce fut donc une grande partie de motivation, de pouvoir composer un livre qui puisse être lu et apprécié par différents types de lecteurs, pour ces éléments spécifiques.

Vous avez donc modifié votre façon de travailler, de composer vos planches ?

Certaines pages de Space Boulettes gardent la beauté et la complexité de celle d’Habibi. Blankets utilisait une à trois cases ouvertes par planche, avec beaucoup d’espace, de champ visuel autour des personnages. Space Boulettes devait au contraire contenir beaucoup d’éléments et d’aventures à chaque page. Je me suis donc spécifiquement amusé à réaliser des arrière-plans très denses, empli de détails, car je me rappelais le plaisir que j’avais eu, étant enfant, à me perdre dans un dessin de comics ou de livre d’illustration.

Autre avancée majeure, vous avez réalisé un livre en couleur. Est-ce que cela a été plus simple de raccrocher des fils narratifs à la couleur, ou cela vous a-t-il au contraire complexifiée la tâche ?

Chaque planche m’a pris deux heures de plus que cela n’aurait normalement été nécessaire pour une page noir et blanc. Je devais préparer le fichier numérique, et écrire beaucoup d’explications sur les couleurs que je désirais, et puis nous discutions les quelques modifications à opérer lorsque je recevais la première version couleurs, etc. En définitive, je pense que mon style n’est pas appropriée à la mise en couleur : ma ligne n’est pas assez claire, car je travaille au pinceau plutôt qu’à la plume. J’ai donc beaucoup appris dans cette collaboration, et même si j’ai pu être parfois frustré de certains résultats, je suis finalement heureux de l’avoir réalisé : cela apporte beaucoup de sensibilité au livre.

Voudriez-vous continuer en couleurs ou allez-vous définitivement revenir au noir et blanc ?

Je pense que je vais prolonger les deux expérimentations : je préfère le noir et blanc, car c’est selon moi la forme la plus pure du dessin, et cela convient mieux à mon propre style graphique. Je referais certainement de la couleur, mais avec moins de détails dans chaque case. Au final, lorsque je regarde un album en couleur, je préfère qu’il y ait trois couleurs par page plutôt que trente : c’est plus élégant. Même si Space Boulettes nécessitait cette atmosphère de science-fiction spatiale un peu décadent, et moins artistique.

Vous avez placé de grandes valeurs dans votre livre : l’ouverture aux autres, l’importance des liens familiaux, etc. D’où vous venaient ces envies de thématiques particulières ?

Space Boulettes est avant tout le récit d’une famille nucléaire, que vous voyez sur la couverture, le tout doublée d’une famille d’amis, que la jeune violette se crée au fur et à mesure de ses rencontres. Le tout forme une espèce de famille globale, au-delà des préjugés de classes sociales ou de races, car on parle autant d’extra-terrestres que de poulets !

Vous évoquez aussi les deux parents, avec des métiers différents, mais aussi des passés opposés, passés qui jouent pourtant un rôle important dans la structure du récit. Vouliez-vous sciemment apporter cet idée d’enrichissement du vécu, par-delà les jugements ?

Tout-à-fait, le père est roux, la maman a les cheveux bleus, deux couleurs assez opposées. Violet, la jeune fille réalise donc le pont entre les deux êtres, en apportant de la communication entre les deux sensibilités. Violet est également inspiré d’une petite fille que deux de mes proches amis ont eue il y a cinq ans. Et dès qu’elle est née, j’ai su instinctivement que je lui dédierai un livre, c’était le catalyseur qui me manquait dans l’univers de Space Boulettes que j’avais déjà débuté. J’ai donc renversé l’arrivée des personnages pour me concentrer sur cette famille.

Le personnage du père est également important. Sa mission semble d’ailleurs être une sorte de rédemption de son passé de délinquant ?

Sans que cela présent dans le livre, j’ai écrit tout le passé des personnages pour bien comprendre qui ils sont et comment ils doivent réagir. C’est bien entendu particulier car les parents de Violet sont également inspirés de personnes réelles, à savoir les deux amis proches dont je vous ai parlés. Ces personnages sont donc une forme de reflet des parents de la vraie Violet. Et je vois mon ami comme une sorte d’enfant sauvage, même auto-destructeur jusqu’à ce qu’il trouve la stabilité dans le mariage, et en étant devenant père. C’était important de rester au plus de ces modèles, qui sont deux personnes pleines de créativité, et qui ont pu maintenir ce talent et leur passion pour les autres en devenant parents.

L’album est également disponible en version de luxe

Comment vos amis ont-ils accueilli ce livre dont ils sont les héros par procuration ? Leur avez-vous montré les pages en cours de réalisation ?

Oui, je leur ai montré le livre à chaque étape, de façon à ce qu’il demeure sous leur constante approbation, même si cela reste de la fiction. Ils étaient très flattés, et ils ont beaucoup aimé Space Boulettes.

Lorsqu’on regarde votre bibliographie, on ne peut s’empêcher de remarquer que l’inspiration au réel y est récurrent : Blankets, Un Américain en balade, etc. Avez-vous besoin de ce lien au réel pour en donner votre propre vision ?

Effectivement ! Adieu Chunky Rice comporte également sa part d’inspiration au réel, tandis que Blankets se rapproche plus d’un travail de mémoire. Et Habibi aussi, mais c’est à un niveau beaucoup plus abstrait ! L’écriture est bien entendu un processus psychologique qui se base sur votre vie réelle. Je ne pense pas que je sois capable de travailler autrement.

Est-ce le but de la création artistique : partager la vision d’un être, sa sensibilité à propos du monde qui nous entoure ?

C’est peut-être un des objectifs de l’art. La fin de Space Boulettes est d’ailleurs un message que je m’adresse à moi-même. Je proviens d’une classe ouvrière. Mes parents étaient éleveurs, les seules personnes que je ne connaissais étaient des fermiers ou des conducteurs de camions. Et maintenant, je détiens un rare privilège de pouvoir réaliser des bandes dessinées basées sur mon propre jugement. Dans l’épilogue, je me donne donc à moi-même la permission de pouvoir réaliser de la BD.

Quels sont alors vos futurs projets ?

Je ne sais pas vraiment ce qui a se concrétiser le premier. Je travaille sur trois projets de livre, ainsi que sur une collaboration avec Edmond Baudoin. Je ne dois pas seulement écrire une histoire, mais surtout peaufiner sa structure. Je prends donc du temps pour revenir en arrière et recommencer, ce qui fait que je ne sais pas quand cela sortira exactement.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

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A propos de Craig Thompson, lire :
- Le nouveau Craig Thompson : amour et Islam...
- Habibi
- Un Américain en Balade
- [Blankets
- Adieu, Chunky Rice

Photo en médaillon : Charles-Louis Detournay

 
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