L’histoire entre les deux tourtereaux était belle, elle durait depuis 25 ans, quasi exclusive, on appelle ça un monopole, mais l’histoire a une fin. C’est la séparation.
Entre DC Comics et Diamond, tout avait commencé dans les folles années 1990, où l’euphorie des ventes battait son plein. Avec plusieurs sociétés qui se disputaient la distribution : Diamond Comic Distributors dans le Maryland, Capital City Distribution dans le Wisconsin et Heroes World Distribution dans le New Jersey.
C’est là, en 1994, que Marvel Comics, l’autre grand prétendant aux suffrages dans le cœur des lecteurs, sous la houlette de son trop empressé nouveau propriétaire, Ron Perelman, met la main sur le distributeur Heroes World Distribution. Objectif : devenir le numéro 1, le torse bombé, devant la concurrence.
Pas en reste, DC et quelques autres candidats au plébiscite des fans : Image, Dark Horse et Archie Comics font barrière derrière Diamond Comic Distributors et signent des contrats exclusifs avec l’entreprise, d’autant que Diamond absorbe Capital City Distribution, proche de la faillite, un crève-cœur mais bon....
Mauvaise pioche pour tous : en 1996, alors que le marché connaissait un gros ralentissement, le fanfaron Marvel dépose le bilan ! Il ferme Heroes World Distribution et signe aussi un contrat d’exclusivité de distribution avec Diamond, seul candidat en lice, qui se retrouvait du coup en position de quasi monopole, prompt à imposer ses conditions. Un « aïe ! » rétrospectif s’impose ici.
Donc tout allait plus ou moins bien, dans le meilleur des mondes possibles, celui des affaires… jusqu’à ce qu’un minuscule virus, la (ou le) Covid-19, comme un cheveu dans la soupe, une mouche dans le lait, vienne s’immiscer dans la belle histoire, avec confinement général, arrêt de la distribution des comics de la part de Diamond, par mesure sanitaire préventive. Stupeur générale, inquiétude aussi. On vous en a parlé il n’y a pas si longtemps.
Mais plus déterminé que ses concurrents, l’éditeur de Wonder Woman, entretemps devenu une filiale de la Warner, a pris ses dispositions pour continuer à proposer ses histoires dessinées en dépit de la pandémie. En numérique tout d’abord, ensuite en faisant appel à des réseaux alternatifs tels Penguin / Random House et Barnes & Nobles, acteurs déterminants du secteur de l’édition généraliste aux États-Unis dont les réseaux de diffusion en librairie sont resté ouverts, et deux autres distributeurs : Lunar Distribution pour traiter les commandes de l’Ouest des USA et UCS Comic Distributors pour s’occuper de l’Est. Des filiales de deux importants comic shops, Discount Comic Book Service et Midtown Comics, plutôt performants dans la livraison par correspondance. Des dispositions qui ont fait le bonheur du format roman graphique, déjà en pleine ascension.
DC est aujourd’hui résolu à prolonger ces partenariats, au-delà de la période de déconfinement et un lent retour à la normale. Une séparation avec Diamond qui signifie que le distributeur perd le deuxième plus grand éditeur du marché nord-américain, qui pesait 30% de l’ensemble du marché en 2019.
Donc Penguin / Random House se chargera des trade paperbacks (recueils de comic books) et des romans graphiques, tandis que Lunar Distribution et UCS Comic Distributors s’investiront pour le marché direct des comic shops et leur format de prédilection : le comic book.
La dernière salve de commandes estampillées Diamond Comics est prévue pour le 15 juin, au plus tard. Comme lors de la pandémie, les sorties de DC Comics continueront de se faire le mardi. Pour l’instant.
« Nous reconnaissons que, pour beaucoup d’entre vous, cela peut sembler une décision capitale. Cependant, nous pouvons vous assurer que ce changement dans les plans de distribution de DC n’a pas été fait à la légère et fait suite à une longue période de réflexion. Le changement de direction est conforme à la vision stratégique globale de DC visant à améliorer la santé et à renforcer le marché direct ainsi qu’à accroître le nombre de fans qui lisent des comics dans le monde entier » prévient le communiqué envoyé aux détaillants « À court terme, Diamond ne remplira que les commandes passées jusqu’au 1er juin, date limite de commande finale et ne s’occupera plus de la distribution de nouveaux titres DC. »
Cette révolution dans le système de distribution des comics aux États -Unis fait figure de secousse sismique, Steve Geppi, le président de Diamond Comics Distributors s’est empressé de rétorquer, passablement ébranlé, même s’il fait bonne figure, presque philosophe : « Aujourd’hui, DC a envoyé un message aux détaillants dans lequel il annonçait la fin de sa relation de longue date avec Diamond. En avril, nous avons été informés que DC commencerait à distribuer des produits par le biais d’autres sociétés. À l’époque, ils nous ont demandé de soumettre une proposition d’accord révisé, étant entendu que Diamond continuerait d’être l’un de leurs distributeurs. Une proposition que nous avons rapidement faite. DC a donc demandé une prolongation jusqu’au 30 juin, ce que nous avons accordé. La semaine dernière, DC a demandé une nouvelle prolongation jusqu’en juillet. Nous avons ensuite demandé des explications et DC a indiqué qu’ils répondraient aujourd’hui, le 5 juin. Au lieu de recevoir une réponse, nous avons reçu un avis de résiliation aujourd’hui. Bien que nous nous attendions à un tel résultat, nous, comme beaucoup d’autres opérateurs dans l’industrie. »
Il ajoute : « Bien que nous espérions parvenir à un accord avec DC, chaque changement majeur présente également de grandes opportunités ! Rassurez-vous, Diamond est une entreprise solide et notre succès ne dépend pas des actions d’un partenaire commercial. Tout en reconnaissant que ce changement a un impact sur le secteur, nous sommes bien placés pour tirer parti des opportunités de croissance et nous sommes déterminés à assurer le succès de nos partenaires d’édition, des comics et de notre industrie dans son ensemble. »
Avant de conclure : « Nous sommes toujours enthousiasmés par le potentiel de croissance de l’industrie de la BD, des jeux et des jouets, ainsi que par les opportunités de croissance pour notre autre entreprise Geppi Family Enterprises. Je crois vraiment que notre retour sera plus important que notre revers et que nos meilleurs jours sont encore à venir. »
Peut-être les avocats des parties finiront leur dialogue en justice. Le Coronavirus s’avérant une maladie aux dommages collatéraux textuellement transmissibles... Il faut se faire une raison : un contrat d’exclusivité n’est pas un contrat de mariage.
(par Pascal AGGABI)
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