Daniel Maghen Enchères : Hermann et Rochette mis à l’honneur

Sans conteste, les ventes organisées par Daniel Maghen Enchères restent parmi les plus prestigieuses de l’année. Celle qui se tient à Paris ce 16 novembre prochain ne fait heureusement pas exception à la règle !

L’écrin reste identique depuis plusieurs années : un choix méticuleux de pièces pour le déroulé général, encadré par deux catalogues spécifiques qui font la part belle à des ténors dans leurs domaines. Comment d’ailleurs qualifier autrement les deux ogres que sont Rochette et Hermann, les invités de cette vacation ?

Hermann, tout en puissance

Difficile d’évoquer en quelques lignes ce monstre sacré qu’est Hermann ! Un souci qu’a sans doute également rencontré l’équipe Maghen, car le dossier introductif de ce catalogue reste ténu par rapport aux précédents : un court mais bel hommage signé Ralph Meyer avant de passer directement aux pièces elles-mêmes. Peut-être parce qu’il est parfois compliqué d’aller interviewer celui qu’on appelait le sanglier des Ardennes ? Ou parce que les pièces ne proviennent cette fois pas directement de l’atelier de l’artiste ? Qu’importe, les trente-six originaux rassemblés donnent toute la dimension du travail du maître, pour représenter sans doute la plus belle vacation qui ne lui ait jamais été consacrée.

Comanche - Le Désert sans lumière

Greg - Hermann

De 1965 à 2002, les pièces s’égrènent, réalisant un tour complet des différentes facettes de l’auteur. Bernard Prince bien sûr, avec une couverture du Journal Tintin, les débuts incarnés par le Coronado et Aventure à Manhattan. Puis on passe rapidement à la vitesse supérieure avec de magnifiques planches où les éléments se déchaînent : le brasier de La Fournaise des damnés, les profondeurs de La Forteresse des brumes, la lave du Souffle de Moloch et un crash mémorable dans Objectif Cormoran. La seconde grande série de cette période n’est pas oubliée : les planches de Comanche rivalisent sans peine avec les précédentes, avec en épingle une magnifique page pleine de suspense d’un des summum de la série, à savoir Le Ciel est rouge sur Laramie.

Comanche - Le Ciel est rouge sur Laramie

Greg & Hermann

L’aventure en noir et blanc continue avec Les Tours de Bois-Maury et surtout ce qui reste la série la plus personnelle d’Hermann à savoir Jeremiah. Comme pour les planches précédentes de Prince et Comanche, il s’agit souvent de pièces emblématiques des albums, avec des demi-pages très évocatrices qui laissent éclater le talent de l’auteur. Comme l’affiche la couverture du catalogue. Une couverture couleur de Jeremiah qui n’est certes pas aussi puissante que celle présentée l’année dernière chez Millon, mais elle illustre tout l’anticonformisme d’Hermann qui le pousse à innover depuis près de soixante ans.

Élément critique de son travail, la couleur directe n’est pas oubliée : Les Tours de Bois-Maury, Lune de Guerre avec Jean Van Hamme et Lien de sang avec son fils Yves H.. Pour notre part, notre coup de cœur va aux planches de Jeremiah de la fin des années 1990 et du début de la décennie suivante, avec le must de Zone frontière ! Rajoutons à cet impressionnant panel une série d’illustrations en noir et blanc ou en couleur (dont la fameuse première planche parue dans Plein feu en 1965), et vous obtiendrez la plus belle vacation jamais dédiée à Hermann. À ne pas rater !

Jeremiah - Zone frontière

@copy ; Hermann

La Dernière Reine sous toutes les coutures

Le second catalogue spécifique est consacré à Jean-Marc Rochette et plus précisément à son dernier album, La Dernière Reine. Il s’apparente presque à une monographie, car outre quelques mots de Rossi, Gibrat et Cosey, c’est Rochette lui-même qui est à la manœuvre tout du long. Il se livre avec transparence dans une interview introductive avant de commenter lui-même chacun des pièces présentées.

La Dernière Reine

© J.-M. Rochette

La majorité d’entre elles sont donc tirées de son dernier chef-d’œuvre (le mot n’est pas trop fort) La Dernière Reine : les deux couvertures originales, quelques-unes des plus belles pages de l’album ainsi qu’un étonnant bronze réalisé à partir d’une sculpture de l’artiste pour mieux appréhender son sujet.

Quant à la dizaine de pièces restantes, elles brossent une biographie expresse de l’auteur : des planches du premier Transperceneige, de grandes illustrations originales pour des affiches ou simplement parce que la montagne s’imposait à lui, des planches du Loup et d’Ailefroide, Altitude 3954 ainsi qu’une illustration érotique tirée de Vertiges (2021). De quoi en prendre les yeux et plein la tête !

Le Couloir, illustration originale réalisée en 2023

© J.-M. Rochette

Une ode au neuvième art

Le catalogue général prend une fois de plus les atours d’une travée muséale consacrée au meilleur de la bande dessinée franco-belge. À tout seigneur tout honneur, cette partie principale débute par deux planches du mythique Major Fatal de Moebius, qui bénéficie légitiment de la couverture du catalogue. Quelques mots serait trop faibles pour qualifier la pierre angulaire qu’est Le Garage hermétique, nous vous renvoyons donc à l’article que nous lui avions consacré précédemment->art13928].

Le choc de ces deux planches passé, la suite nous laisse pas plus de répit car les maîtres se suivent sans se ressembler : le flamboyant Druillet avec Salammbô, l’épique Loisel avec La Quête de l’oiseau du temps et Peter Pan, sans oublier Rosinski avec une petite coquille lorsque Kriss de Valnor est attribuée à la maison d’édition Dargaud alors que Thorgal reste le fer de lance du Lombard (mais ne produisons-nous pas également quelques coquilles par-ci par-là ?).

La planche crayonnée de "Tintin"

@copy ; Hergé - Tintinimaginatio 2023

L’une des pièces maîtresses de la vacation est, bien entendu, la planche 48 crayonnée par Hergé de Coke en stock. Tout démontre l’incroyable talent d’Hergé : le mini-storyboard en haut de la page, la documentation pour les bateaux, les expressions des personnages, les recherches de dialogues, les petits croquis en bas de page, etc. Autre auteur iconique, Franquin n’est pas oublié, avec une splendide planche de Gaston de 1969 où les gaffes se multiplient (chimie, pétanque, gaffophone) pour le malheur de Prunelle et De Mesmaeker. Un formidable condensé de l’univers en un gag issu d’une des meilleures périodes. Et pour ceux qui n’auraient pu remporter cette perle, un très bel haut de page avec Gaston sur une muraille pourra les consoler.

Gaston par Franquin

Parmi les précurseurs, Hugo Pratt se distingue avec une demi-planche de Corto Maltese au sein de ce qui deviendra Les Ethiopiques. Il s’agit du dernier épisode publié dans Pif dont la direction communiste voyait d’un mauvais œil la teneur des récits de l’Italien. Poussé dans le dos, Pratt part avec Mougin qui ira fonder chez Casterman l’une des plus célèbres revues de bande dessinée : (À suivre...) Et de l’autre côté, Uderzo réalise une nouvelle prouesse graphique dans cette planche des Lauriers de César. Deux mondes s’affrontent sous sa plume : le classicisme du monde romain qui s’impose par la symétrie de l’architecture et l’alignement des romains qui s’oppose à la ligne courbe du débonnaire tandem de gaulois. Le tempo est porté par sa maîtrise du lettrage qui donne toute la force nécessaire à la séquence.

Astérix et Obélix - Les Lauriers de César

Uderzo - Goscinny

Bien entendu, on retrouve aussi les habitués du catalogue de Daniel Maghen : Gibrat et la magnifique première planche du Sursis T.2 ainsi qu’une seconde tirée du Vol du corbeau, André Juillard avec Blake et Mortimer et Le Cahier bleu, Bernard Vrancken avec son récent Enfants du ciel, Cosey et son Jonathan, Jean-Claude Fournier, Batem soignant le faune et la flore du Marsupilami, Patrice Pellerin et son Epervier, Yves Swolfs, etc.

Fausse couverture du recueil 82 du Journal de Spirou

Yves Chaland

Au titre des curiosités, citons les études de Bob de Moor pour la couverture du tome 2 des 3 Formules du Pr. Sato, une fausse couverture d’un recueil du Journal de Spirou réalisée par Yves Chaland au début des années 1980, un nu signé Will à la même époque, un projet de couverture inédit de Plume aux vents réalisé par Juillard, l’une des pages-titres d’Anita Bomba où tous les personnages principaux de cette série dessinée par Cromwell sont réunis, sans oublier cet original noir et blanc de Blacksad réalisé par Guarnido pour un ex-libris lors de la sortie du premier tome de la série, il y a déjà plus de vingt ans.

XIII - Le Jour du soleil noir

Vance - Van Hamme.

Impossible de lister toutes les pièces, mais comment ne pas fondre devant l’équilibre de cette planche de XIII tirée du Jour du soleil noir, le mélange d’humour et de polar concocté par Tillieux dans Gil Jourdan, les planches de Blueberry signées Giraud dont une magnifique de Chihuahua Pearl, un lot de deux planches de Murena par Delaby, une planche des Cités obscures où Schuiten rend déjà hommage à ses chères locomotives, un gag en deux pages de Gai-Luron, deux planches successives du Parfum de l’invisble Manara et bien d’autres ?
Ne manquez donc pas l’exposition de ces pièces à Paris dès cette semaine.