Pourquoi créer votre propre maison « Daniel Maghen Enchères et Expertises », pour faire payer moins cher les collectionneurs ?
Non parce que, même s’ils veulent légitimement toujours avoir le moins de frais possible, il n’y a pas de secret : faire des beaux catalogues, disposer de collaborateurs compétents et experts en bande dessinée, avoir le premier choix auprès des meilleurs auteurs, cela a un coût. Nous avons fait de superbes événements en partenariat avec Christie’s lors des ventes de 2014 et 2015. J’ai toujours eu la volonté d’ouvrir la bande dessinée à de nouveaux horizons. En 2015 nous avions fait une exposition à New York et Gibrat, Guarnido, Loisel étaient venus présenter leurs œuvres. Malheureusement, je n’avais plus les leviers nécessaires pour faire ce genre d’événements. J’ai préféré avancer seul avec le savoir -faire de mes équipes qui prenaient déjà en charge le travail des trois dernières ventes.
Cette structure nouvelle exigeait d’être accepté par le Conseil des ventes parce que tout cela est très réglementé. On m’a demandé de faire un CV, je n’en avais pas fait depuis 25 ans ou 30 ans ! C’était quelque chose d’un peu nouveau pour moi, et je suis heureux d’avoir été accepté, content de pouvoir faire de belles ventes, dans de beaux espaces avec des auteurs que j’ai choisis, et d’être libre de A à Z de faire les choses par moi-même sans contingences économiques, et surtout de travailler avec une équipe de passionnés exclusivement dédiée à la bande dessinée.
Qu’est-ce qui caractérise cette vente-ci par rapport aux précédentes ?
Soyons tout à fait honnêtes, cette vente ressemble à tout ce que j’ai pu faire auparavant : j’ai le même souci d’offrir un panorama de la bande dessinée franco-belge, européenne. Ceux qui appréciaient nos catalogues chez Tajan et Christie’s apprécieront tout aussi bien celui-ci. C’est plus stressant pour moi car c’est mon propre nom tout seul sur le catalogue, alors qu’avant, il était associé à une prestigieuse salle de vente. Mais dans les faits, ça ne change pas mon travail précédent. Simplement, j’ai essayé de recentrer ce catalogue sur la BD, il y a moins d’illustrateurs. Et nous sommes allés beaucoup plus loin dans l’approche du catalogue dédié à André Juillard. On peut considérer que c’est un ouvrage dédié à son œuvre plus qu’un catalogue de vente.
Les frais sont différents ?
Il y a peu de différence entre les maisons de vente. J’offre deux pour cent de frais acheteurs de moins que mes concurrents soit 23% hors taxes au lieu de 25% hors taxes pour mes concurrents. Pour le tiers de la vente déposée par les auteurs, les frais sont de 27,6% TTC. Pour les œuvres déposées par les collectionneurs, étant donné que le droits de suite [NDLR. Les droits payés aux auteurs à partir d’un certain montant réglementé] est appliqué sur les acheteurs et non sur les vendeurs, les frais sont de 31,6% TTC. Dans leurs ventes, Artcurial doit être à 30% TTC avec les droits de suite prélevés sur les vendeurs et Christie’s à 34% TTC.
Ce que j’essaye de faire, et je suis le seul à le proposer, c’est que 70% des prix de mes catalogues tiennent compte de ces frais en plus. Cela veut dire que nos prix sont minorés dans les estimations en tenant en compte que le client va payer ces 27 ou 31% de frais en plus.
Pour cette première vente, j’ai la chance que 80% des déposants collectionneurs et auteurs aient accepté de mettre des pièces à des prix entre 20 et 30% en dessous du prix du marché, par exemple Ralph Meyer, dont l’estimation est à 5 000 / 7 000€ quand elle vaut 8 000 / 10 000€ sur le marché, Miralles qui est à 10 000 / 15 000€ quand elle vaut 15 000 / 20 000€. 90% de ces auteurs ont dit « - OK, on met des prix pas chers. », ainsi que 50% des collectionneurs déposants.
La star de ce catalogue, c’est Hergé ?
Hergé reste la star de tous les catalogues, donc oui, évidemment. Nous présentons aussi une pièce exceptionnelle de Franquin qui peut faire un très bon prix. C’est rare de trouver une couverture d’album de Franquin en vente, beaucoup de clients paraissent très intéressés. Hergé est l’auteur numéro 1 sur le marché depuis toujours. Ce qui est un peu injuste dans les ventes, c’est que souvent, on est jugés sur la vente de sa pièce-phare. Ici, nous avons une exceptionnelle couverture du Petit Vingtième, un crayonné de Vol 714 pour Sydney aussi. C’est difficile de trouver des œuvres de ce niveau sur le marché.
Il y a des critiques qui fusent sur le fait que Maghen a bousculé le modèle économique de l’édition en commandant des pièces particulières aux auteurs, lesquelles leur rapportent parfois plus d’argent que les avances des éditeurs... Avez-vous eu des retours de bâton ?
Je suis l’un des premiers à avoir passé des commandes de dessins à des auteurs, déjà il y a 30 ans où Frank LeGall et Blanc-Dumont avaient réalisés des dizaines de dessins pour ma galerie. Maintenant, sur les catalogues de vente, je n’ai rien innové en faisant ça : j’ai la même démarche que ce que font les artistes contemporains ou les peintres pour leurs catalogues.
La manière dont j’appréhende la BD en tant que galeriste a toujours été la même : je considère que les plus grands dessinateurs figuratifs contemporains sont dans la BD, que Juillard n’est pas seulement un auteur de BD, c’est un peintre, un illustrateur, un graphiste comme peuvent l’être Bilal, Ana Miralles, Tardi ou Rosinski. La BD exprime une partie de leur travail, mais pas seulement. Ce sont des créateurs capables de tout faire, des illustrations de livres, des affiches de cinéma...
Je n’impose rien à un auteur. J’ai eu la chance pour ce premier catalogue de ma maison de vente de m’appuyer sur un auteur historique : André Juillard. Il me connait bien. C’est le premier auteur à m’avoir fait confiance, en 1990, quand j’avais 20 ans, alors que j’étais un fan qui avait fait un prêt étudiant pour acheter ses planches. C’est un auteur que j’adore pour la qualité de son travail. Malheureusement, il n’y a plus beaucoup d’originaux de la période que les gens préfèrent, celle des 7 vies de l’épervier et du Cahier bleu.
J’ai eu de la chance pour ce catalogue, qu’il ait conservé précieusement, depuis toujours, vingt pièces qu’il considérait comme ses chefs d’œuvres. Il accepte aujourd’hui de les vendre dans le cadre de ce catalogue spécial qui, du coup, restera comme un livre incontournable pour les amateurs. Je lui ai aussi suggéré de montrer un autre aspect de son travail, de présenter des illustrations qui reflètent les grands passages de ses albums-cultes. Il a donc travaillé pendant six mois sur ce catalogue, ce qui est exceptionnel.
Donc effectivement, dans ma collaboration avec les artistes, je leur explique qu’on ne peut plus travailler comme dans le passé, que ce n’est pas suffisant de présenter uniquement les pages de l’album. Certains éditeurs pensent que je détourne les auteurs de leur métier de base, mais en fait pas du tout : c’est une demande qui vient des auteurs eux-mêmes.
Francis Vallès ou Philippe Francq n’ont pas envie de faire des illustrations, mais Juillard, il fait des dessins tout le temps, ça lui plaît, et ça représente son travail. Dans mon approche, je ne demande ce genre de travail pour la galerie que pendant trois mois, tous les trois ans. Donc ça ne concerne que 10% du temps d’un auteur, mais ces 10% sont indispensables pour faire une bonne exposition, et ils peuvent parfois amener à l’auteur jusqu’à 30 ou 40% de ses revenus courants. Donc c’est rentable pour l’auteur, mais la plupart le font aussi pour d’autres raisons : c’est une forme de reconnaissance.
Pourquoi les collectionneurs vendent-ils leurs planches ?
Certains ont des besoins financiers, d’autres le font par ce qu’ils se disent que les prix ont augmenté et que c’est le bon moment de vendre. Le crayonné d’Hergé que nous vendons ici a été offert à un peintre espagnol dans les années 1970, et à l’origine, c’est la famille du peintre qui a vendu le crayonné. Chaque cas est différent.
Ou alors, et c’est une chose propre à ce genre de vente, un certain nombre d’amateurs vendent des choses en espérant en acheter d’autres. Ce qui pose une double problématique et un stress pour moi, parce que ces gens-là m’interrogent tout le temps, "- Est-ce que tu vas avoir un client sur ma planche ? Parce que si tu vends ma planche, autre chose m’intéresse..."
Quand on commence une collection, on s’imagine qu’on va l’avoir pour toute sa vie, et qu’on ne vendra jamais. Heureusement ou malheureusement, il y a beaucoup de collectionneurs dont les enfants ne s’intéressent pas à la collection accumulée toute une vie. Ils ont 60 ou 70 ans et ils remettent alors leurs pièces en vente sur le marché. Ça rend le marché vivant car ces pièces vont trouver leur place chez de nouveaux collectionneurs.
Il y a donc cette partie générationnelle qui vend sa collection pour préparer une succession. D’autres ont besoin d’argent, ils se disent : "- J’ai acheté une planche de Franquin 200 000 francs belges [environ 5 500 €, NDLR] et je peux la vendre entre 50 et 100 000 € ? Bah, j’en profite car c’est une grosse plus-value !" Ce qui prouve que le marché est sain, c’est que 20 ou 30% des pièces mises en vente viennent de clients qui veulent acheter d’autres pièces pour améliorer leur collection.
C’est pour moi une double responsabilité, parce que si je ne vends pas ces planches, par effet ricochet d’autres planches ne seront pas vendues. Par exemple dans une vente que j’avais faite en 2015 avec Christie’s, j’avais vendu très cher une planche de Blake & Mortimer. Avec cet argent, son ex-propriétaire a acheté très cher une peinture de Giraud d’un autre collectionneur qui, du coup, a acheté une autre pièce dans la vente elle-même très chère. Inversement, un client qui m’avait confié une Peyo pour acheter plusieurs Joubert ne l’a pas vendue, et donc il n’a pas pu acheter les Joubert...
Comment va évoluer le marché ?
Je vois les choses de manière positive. Les clients qui achètent les pièces, même à 500 000 €, ce sont des passionnés de BD, donc j’ai le grand luxe de vendre des pièces très chères à des personnes qui me remercient parce qu’elles elles adorent ça. Ce n’est pas du placement, c’est de la vraie passion. Inversement, le marché de la BD reste finalement un marché d’œuvres de bande dessinée. Même s’il a explosé, il reste méconnu et il est à 90% composé de passionnés. Donc je considère que sur la question de la relève, parce que j’ai maintenant une cinquantaine d’années, je n’ai pas de souci à me faire pour les 20 prochaines années, parce que je connais mes clients, ils vont m’acheter pendant encore 20 ans.
Pour la génération d’après, je pense que ce qui va décider de l’évolution de ce marché, c’est la manière dont la BD est perçue par les lecteurs de demain et dans le monde de l’art. Est-ce que ce seront uniquement des nostalgiques qui achèteront par passion des pièces ou sera-t-elle perçue comme un art majeur ? Ce qu’est pour moi la bande dessinée et ce que revendique Steven Spielberg, George Lucas ou Guillermo del Toro qui achètent eux-même des originaux et disent que la bande dessinée est une inspiration majeure de leurs œuvres.
Il faut savoir si la BD va être vue comme un art très important, et pour cela il y a des grandes expos qui nous aident : il y a eu l’expo Hergé au Grand Palais, celle de Sempé à la Mairie de Paris...
Le rôle des galeries et des salles des ventes n’est pas suffisant. Ce qui manque à Paris, c’est un musée, un vrai musée consacré à la BD qui est notre patrimoine national. Et ce musée n’a lieu d’être qu’à une seule place : à Paris. Ce serait un centre culturel européen pour voir les œuvres, pour rencontrer les artistes, c’est un lieu comme ça qui manque pour que la BD soit établie comme un art, comme la peinture.
J’essaye de me battre pour ce projet, il n’est pas commercial mais culturel. Je suis allé voir la Mairie de Paris qui m’a dit qu’elle n’avait pas de budget ; je suis allé voir le Ministère de la Culture qui m’a dit qu’il n’avait pas de budget - alors que je leur ramène les collections privées de tous mes clients qui sont prêts à prêter et à donner des pièces pour un musée...
Mais récemment, j’ai rencontré un mécène privé qui est en train d’ouvrir les portes pour ce projet. C’est important et pour moi cela fait partie des arguments qui peuvent changer le marché.
Voir en ligne : LA VENTE EN LIGNE SUR DROUOT DIGITAL (catalogue téhéchargeable)
(par Vincent SAVI)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Exposition de la vente "Bande dessinée & illustration" - du 25 septembre au 11 octobre 2019 - 10h30 à 19h00 - Galerie Daniel Maghen - 35 rue du louvre, 75001 Paris
Vente le 11 octobre 2019 - Maison de l’Amérique Latine - 19h00 - 217 Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris
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Daniel Maghen Enchères et Expertises lance sa première vente
En médaillon : Daniel Maghen par R.Meigneux / Galerie Daniel Maghen.
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