Alors qu’ils sont en train de réaliser la trilogie du Cœur Couronné, un récit orienté sur le sexe et la métaphysique avec une touche humoristique (et beaucoup de violet !), Moebius & Jodorowsky, le mythique duo créateur de L’Incal, revient à leurs premières amours : un récit illustré. En effet en 1978, juste après l’échec du film Dune, qui permit néanmoins aux deux hommes de se rencontrer, ils réalisèrent un court récit qui marqua profondément le monde de la bande dessinée : Les Yeux du chat.
Quinze ans plus tard, Jodorowsky est devenu un vieux briscard du milieu, et c’est avec une toute autre optique qu’il écrit Griffes d’Ange, le récit très métaphysique d’une jeune femme qui vient d’enterrer son père, et qui entame un périple initiatique pour s’ouvrir au monde et à soi-même.
De ce récit où se multiplient les métaphores sexuelles et les pratiques SM libératrices, on aurait pu se demander qui aurait pu oser l’illustrer sans le dépouiller de ses messages intrinsèques ? Seul Moebius le pouvait, inconditionnellement. Car pour Moebius, l’acte sexuel n’est pas seulement lié au plaisir et à la jouissance, il symbolise bien des comportements humains et notamment l’acte créateur, et lorsqu’on lui en parlait, les métaphores sexuelles venaient naturellement dans la conversation, sans tabou.
Les illustrations de Griffes d’Ange sont dénuées de toute pornographie gratuite. Pourtant, elles explorent les comportements et les interdits imposés par la société. Ces illustrations explicites risquent certainement de choquer plus d’un lecteur, elles vont pourtant de pair avec le texte de Jodo, les deux amis s’étant une nouvelle fois réunis dans un voyage du texte et de l’image.
Graphiquement parlant, Griffes d’Ange est sans doute l’un des livres de Moebius les plus complets et les plus réussis. Les techniques utilisées sont très diverses et prouvent qu’il se trouvait à un tournant de son constant perfectionnement : les lignes simples et pures côtoient les hachures et les effets de volume. Le jeu des masses sombres alternent également avec une technique des petits points blancs (ou noirs), telle qu’il l’avait employée dans Parapsychologie.
Cette réédition efface la sobre couverture précédente, qui ne laissait en rien présager au lecteur le spectacle qui l’attendait. En mettant cette fois en avant l’une des plus chastes images du livre en couverture, l’éditeur suggère avec justesse la dimension métaphysique de cet incroyable voyage graphique, qu’on relira plus d’une fois pour en déceler la poésie et le sens caché. Dommage que la nouvelle police d’écriture et que le positionnement des textes donne un sentiment de rigueur à un livre qui invite à la liberté.
Sans doute une des œuvres les plus personnelles de Jodo & Moeb. À damner un saint !
(par Charles-Louis Detournay)
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