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Jake Raynal, (« Les Nouveaux Mystères ») : « Raynal existe-t-il vraiment ? »

Par Laurent Melikian le 6 avril 2015                      Lien  
Puisqu’en avril, on ne se découvre pas d’un fil de canne à pêche, rencontrons celui qui, dans Fluide Glacial, jongle avec le bon grain et l’ivraie pour les servir en étranges chroniques dessinées. Seize de ces courtes bandes dessinées sont réunies dans « Les Nouveaux Mystères » où il est question de crimes, complots et autres voyages aux pays des fausses vérités cachées. Une lecture qui prête à questions et demandait une rencontre sous haute suspicion.

Les nouveaux Mystères invitent à se poser la question du vrai et du faux, alors, comment être sûr que nous parlons avec le vrai Jake Raynal et non à son clone extra-terrestre ?

Jake Raynal, (« Les Nouveaux Mystères ») : « Raynal existe-t-il vraiment ? »C’est vrai, ça, comment le savoir ? D’ailleurs Jake Raynal existe-t-il ?

Le doute subsiste. Dites-nous comment Jake Raynal en est venu à tenir une rubrique quasi-scientifique dans Fluide glacial  ?

Indirectement. Je n’ai aucune formation scientifique. Tout vient de mon goût pour le fantastique : en m’intéressant à l’irrationnel, j’ai fini par me pencher sur le rationnel. Et je n’ai pas été déçu. Le résultat est ce livre, Les Nouveaux Mystères qui rassemble des récits publiés depuis dix ans dans Fluide glacial, et notamment dans les numéros hors-série, qui étaient dirigés par Bruno Léandri, lequel manifeste aussi un certain intérêt pour la science.

Extrait des "Nouveaux Mystères"

Bon, vous parlez avec sincérité. Nous voulons bien admettre que vous êtes le vrai Jake Raynal . Cet album aux couleurs chaudes emprunte-t-il aux forces occultes de l’Internet ?

Certainement. Parce que la propagation des rumeurs y est décuplée. On assiste avec le réseau à un phénomène d’accélération, où ce qu’on appelle les légendes urbaines, des plus délirantes aux plus dangereuses, peuvent, en se diffusant très vite, acquérir un vernis de crédibilité.

C’est aussi le lieu d’une érudition vite acquise, jusqu’à l’imposture. En quelques minutes de consultation d’une encyclopédie en ligne, n’importe qui peut se donner l’illusion de maîtriser un sujet. Je ne m’en prive pas. Je faisais déjà ça au lycée. Je commençais mes dissertations (à propos de livres que je n’avais pas lus) par des phrases comme "Chacun sait que" qui me donnaient l’apparence d’autorité de celui qui sait ce qu’il dit.

Aujourd’hui, mes pages mélangent allègrement l’authentique et la pure invention. Ainsi, pour l’histoire de l’Enfer des frites, je me suis inspiré d’une étude américaine qui prétend que la formule chimique des frites provoque une addiction. Je n’ai pratiquement rien ajouté. Sur d’autres sujets, par contre, je peux intégrer des éléments tout à fait fantaisistes. Pour Le Secret du Masque de fer, je me suis peu documenté, avant d’appeler les soucoupes volantes à la rescousse de l’histoire. Les extra-terrestres sont une forme d’obsession.

Outre l’addiction provoquée par les frites, on note que vous évoquez également des thèmes tels que l’électro-sensibilité ou la crise économique. Fluide glacial serait-il devenu un journal sérieux ?

J’aborde des sujets singuliers plus ou moins sérieusement, mais je reste, me semble-t-il, fidèle à une certaine tradition présente dans Fluide depuis ses débuts, celle de l’exposé pseudo-scientifique énoncé d’un ton docte. L’influence renvoie évidemment aux Dingodossiers, et donc à la Rubrique à Brac, voire au magazine Mad ou même à la Pataphysique.

Extrait des "Nouveaux Mystères"
Comment croire que la terre est plate comme une pizza...

Certains chercheurs sont persuadés que le monde de l’édition française est gouverné par les Illuminati [1]. Qu’en dites-vous ?

Je les aime bien, les Illuminati. La rumeur du complot Illuminati semble plaire aux jeunes gens. J’ai observé des adolescents, regardant la couverture des Nouveaux Mystères, dire d’un air entendu : « Il parle des Illuminati ». Ça me rappelle ma propre jeunesse quand nous pensions voir le symbole Ku Klux Klan sur les paquets de cigarettes. Ce genre d’absurdité marche très bien. Dans une histoire récente, j’évoque le supposé complot reptilien. On est probablement dirigé par des extra-terrestres à l’apparence de reptiles. Les conspirations mondiales sont comme des Matriochkas. Il y en a toujours une qui vient se superposer aux autres : omplot judéo-maçonnique, Illuminati, reptilien…

Tout ça m’amuse beaucoup, même si je ne suis pas dupe de la présence des thèses d’extrême-droite qui fleurissent derrière cet imaginaire. Il y aurait beaucoup à dire sur l’utilisation des mythes dans la politique, notamment chez les extrémistes.
Mais pour l’instant, tel David Vincent, j’en suis resté aux extra-terrestres. C’est tellement plus poétique. Quand j’ai commencé à aborder le fantastique dans Fluide, je me souviens d’un bouclage où Goossens m’a dit : « On a l’impression que tu as autant envie de faire rêver le lecteur que de le faire rire. » Il avait raison.

Trêve de petits hommes verts. Où en est Francis, le blaireau farceur dont vous contez les aventures en strips avec Claire Bouilhac aux Editions Cornélius ?

L’animal attend un heureux événement, si tout va bien. Comme toujours, nous progressons lentement mais sûrement. Je propose des histoires à Claire Bouilhac, qu’elle dessine si elle les trouve drôles. J’essaye d’écrire du Francis à longueur d’année, mais c’est une écriture très particulière qui ne peut s’effectuer que par phases. De plus, Francis a déjà vécu trois cents histoires, et il lui est arrivé des milliers de choses. Il faut sans cesse lui trouver de nouveaux chemins…

Histoire extraite de "Francis est malade" (2013)

Aimeriez-vous revenir au polar, tel que vous l’avez abordé dans les deux tomes des "Cambrioleurs" aux éditions Casterman ?

J’aimerais beaucoup. Les bulles me manquent (les textes des Nouveaux Mystères n’apparaissent qu’en récitatifs, NDLR) et les personnages aussi. J’ai adoré faire de la fiction, même si arrêter le second degré n’était pas facile. D’autant que j’avais choisi une forme de récit et un univers assez austères, et exigeants… même pour le lecteur ! Mais j’ai toujours envie de faire de la BD d’aventures, peut-être en mélangeant fiction, fantastique, et une pointe d’humour ?

Extrait de "Cambrioleurs" (2013)

Pour conclure, la fin du monde est-elle pour demain ?

Non. Enfin, si, en fait, une nouvelle date circule… Mais nous avons tous été déçus la dernière fois : rien ne s’est passé en décembre 2012. Mais ne désespérons pas. On doit s’attendre à des choses graves inéluctables… et répétées.

(par Laurent Melikian)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photo en Médaillon : © Laurent Mélikian

[1Pour les lecteurs d’actuabd qui ne connaissent pas les Illuminati, rendez-vous ici, non mais sans blague, on ne va pas se casser la gnognotte à réécrire Wikipedia !

 
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