« Formidable : les années Jack Lang (1981-1992) » : chronique énamourée d’une gauche révolue

Quand il devient ministre de la Culture du premier gouvernement du Président Mitterrand, restant à ce poste durant trois mandats dans une longévité comparable à celle d’André Malraux, il a déjà roulé sa bosse dans la culture : il a créé le Festival mondial du théâtre de Nancy, dirigé le Théâtre de Chaillot avant de s’en faire virer avec fracas, et a été secrétaire national à la culture du Parti Socialiste de François Mitterrand, tout en accomplissant plusieurs mandats d’élu local. Une fois en poste, sa femme et lui deviennent les intimes du premier président de gauche de la Ve République, contribuant notamment à sa réélection.

Comme ministre, il est l’artisan de la Loi sur le Prix unique du livre surnommée « Loi Lang », le promoteur des fêtes de la Musique, du Cinéma ; il s’est battu pour que la Culture soit maintenue à 1% du budget de l’Etat ; il a co-piloté le Bicentenaire de ma Révolution Française ; enfin, il a accompagné les « Grands Travaux » de l’ère Mitterrand (le Grand Louvre, Bercy, l’Opéra Bastille, la BnF, la Grande Arche de la Défense, l’Institut du Monde arabe, etc .) et bien d’autres actions menées par son ministère. Il a donc laissé une trace impressionnante dans la politique culturelle de la France.

Franck Bourgeron, Hervé Bourhis et Dorothée de Monfreid sont des enquêteurs et des vulgarisateurs chevronnés. Bourgeron est cofondateur de La Revue dessinée et de Topo, directeur de plusieurs revues d’investigation illustrées ; Hervé Bourhis est l’auteur de plusieurs BD documentaires sur le Rock, le Heavy Metal, les Beatles, la bande dessinée, l’informatique, la typographie, les présidents américains… ; Dorothée de Monfreid a réalisé en collaboration avec quelques collègues un album racontant les coulisses de l’élection présidentielle de 2022. Ce ne sont pas des auteurs qui débarquent dans la chose politique.

Notre trio rencontre donc plusieurs fois le phénomène et son épouse Monique Lang, indissociable de ses actions depuis leur rencontre en 1957. Très vite, le récit tourne au panégyrique puisque c’est Jacques Lang qui tient le crachoir. À quelques endroits, peut-être, Franck Bourgeron, qui a étudié le dossier, corrige les exagérations de son interlocuteur. Mais nos trois complices, ils le racontent avec sincérité, sont sous le charme.

Pourtant, à chaque fois que nos auteurs exposent leur projet, notamment à des journalistes, on leur dit « Oh là là ! Il faudra tout dire ! Il faudra enquêter !... » C’est que les rumeurs vont bon train, mêlées à des faits comme la signature d’une pétition de soutien à Gabriel Mazneff… L’intéressé raconte qu’il a attaqué en son temps ces calomnies et que, dit-il, il a toujours gagné. En près d’une planche, la cause est plaidée, nos trois auteurs peuvent revenir à leur exercice d’admiration et de nostalgie. Il faut dire qu’en ce temps-là, monsieur, on ne râlait pas, on ne s’indignait pas à chaque instant : on préférait rêver et faire la fête.

Cette forme de narration, la bande dessinée, que le ministre connaît bien puisqu’il est à l’origine de la Cité internationale de la BD et de l’image et qu’il est venu plus d’une fois au Festival d’Angoulême, cette fabuleuse histoire séduit son lecteur. Clairvoyant, l’artisan du Prix unique sait que ce type d’ouvrage sera davantage lu que les précis historiques qui mentionnent son nom.

Bourgeron résume le fait dans l’ouvrage : dans la BD, ce qui compte, « c’est le détail  ». Effectivement, cette BD sait faire briller l’anecdote et rendre les personnages attachants. Dorothée de Monfreid, qui doit dessiner des dizaines de portraits de personnalités à différentes époques, arrive pourtant à chaque fois, en quelques traits, sans pour autant que ce soit vraiment ressemblant, à tirer une sorte de quintessence de la vérité des personnages qu’elle dessine. Rien que cela mérite notre respect.