Le 9 novembre 1942, en pleine Bataille de l’Atlantique, l’espion allemand Werner von Janowski émerge d’un sous-marin U-518 non loin de New Carlisle, au Québec. En mission pour le compte de la Wehrmacht, l’agent « Bobbi » a vraisemblablement pour objectif de se rendre à Montréal afin d’entrer en contact avec Adrien Arcand, un sympathisant nazi notoire (pourtant emprisonné depuis 1940). Or, moins de 12 heures après être débarqué, l’officier allemand est coffré par la police provinciale avant d’être remis à la Gendarmerie royale du Canada.
À peine arrivé, Janowski éveille les soupçons en raison de ses vêtements étrangers et de son accent « guttural ». Plus étonnant encore, il paie sa note d’hôtel avec des billets qui n’ont plus cours depuis longtemps, et il porte sur lui des allumettes belges. Accumulant gaffe sur gaffe, l’espion est rapidement démasqué par la population locale.
Cette anecdote historique a de quoi surprendre. En effet, comment les services secrets allemands ont-ils pu faire preuve d’autant d’amateurisme ? L’agent « Bobbi » était-il un incompétent ou bien cherchait-il à se faire prendre dans le cadre d’une opération de contre-espionnage ? À moins que celui-ci n’ait été victime d’un coup monté ?
C’est l’hypothèse que semblent privilégier Frédéric Antoine et VoRo. Inspirés par cette anecdote historique fascinante, les auteurs ont imaginé – et romancé – le périple de Janowski au Canada. Présenté comme un homme à femmes, cet officier cynique se retrouve ici au cœur d’une lutte interne entre le SD, le service de renseignement de la SS, et l’Abwehr, le service de renseignement de l’État-major allemand. Alors qu’elle vient d’essuyer le cuisant échec de l’opération Pastorius aux États-Unis, l’Abwehr cherche à se racheter grâce à la mission de l’agent « Bobbi ». Celle-ci aurait-elle été sabotée par le SD ? L’histoire officielle ne le dit pas.
Avec son scénario captivant et pour le moins rocambolesque, L’Espion de trop saura plaire aux amateurs de polar. Le seul bémol demeure peut-être la liaison gaspésienne prêtée à Janowski. Gratuite et peu crédible, celle-ci répond davantage aux codes du récit d’espionnage et sert avant tout les fins de la fiction.
Quant aux lecteurs férus d’histoire, ceux-ci sauront apprécier le dossier informatif présenté par Michel Viau à la fin de l’album. En plus de jeter un éclairage supplémentaire sur l’affaire Janowski [1] , ce document permet d’en apprendre davantage sur les différentes attaques et activités d’espionnage menées par la marine allemande dans le cadre de ce que l’on nomme désormais la « Bataille du Saint-Laurent ». À découvrir.
(par Marianne St-Jacques)
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L’Espion de trop, par Frédéric Antoine et VoRo, Glénat Québec, 57 pages. Parution au Canada le 1er avril 2019 et en Europe le 15 mai 2019.
[1] Ceux qui veulent en savoir plus sur l’affaire Janowski peuvent également lire « The world’s worst Nazi spy : The German agent caught by Canada in a matter of hours », article de Tristin Hopper, paru dans The National Post, le 21 avril 2016, ou encore Cargo of Lies : The True Story of a Nazi Double Agent in Canada, monographie de Dean Beeby, parue chez University of Toronto Press, 1996.
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