"L’humour, ça ne se commande pas, écrit Patrice Dard, l’auteur de San Antonio, en hommage aux éditions du Léopard Masqué, ça se commandite encore moins, ça se recueille. comme le sang du Christ au sein du Graal, le miel au creux d’un pot, ou le foutre entre les lèvres d’un vieux travelo." Le Secret d’Eulalie Corne, L’Affaire tourne au sale, Les Poils mystérieux, Le Crado pince fort, La Lotus bleue, L’Oreille qui sait, et récemment Saint-Tin obéi des chauds Viets... sont autant de roman parodiques des aventures de Tintin aux titres gracieux dignes de l’Almanach Vermot qu’Erick Mogis alias Gordon Zola lançait en novembre 2008 sous sa signature et sous celle de Bob Garcia... Les couvertures ressemblent comme à un déguisement de travelo justement aux couvertures du reporter à la houppe.
La société Moulinsart, sourcilleuse gardienne du Temple hergéen et son timonier, l’ineffable Nick Rodwell, ne pouvaient rester sans réagir. Plainte fut déposée pour "contrefaçon, plagiat, adaptation littéraire et parasitisme" et, en janvier 2009, l’imprimerie Labarelly à Clamecy dans la Nièvre (58), reçut la visite de policiers et d’huissiers venus saisir fichiers informatiques et stocks des premiers titres publiés. Le tribunal d’Evry, néanmoins, ne retint en juillet 2009 que le dernier chef d’accusation -le "parasitisme"- et accorda quelque 40 000 euros de dommages et intérêts devant être versés de manière exécutoire (en sus des intérêts et des frais de procédure), et non suspensive jusqu’au procès en appel.
En général, à ce stade de la procédure, l’éditeur parodique est mort, ne pouvant lutter contre une telle artillerie, d’autant que dès le 15 mars 2010, les huissiers étaient devant la porte avec un commandement à payer, en dépit d’une procédure immédiatement instruite en appel.
Finalement, en février 2011, la cour d’appel infirma la décision de Première Instance et c’est, chose incroyable, Moulinsart qui dut payer des dommages et intérêts à la petite maison d’édition française qui, au passage, nourrissait la jurisprudence d’un arrêt salutaire pour les parodies futures.
En attendant, la collection Saint-Tin, dont le dernier titre, Saint-Tin obéi des chauds Viets, vient de sortir en librairie, a finalement passé le cap des 100 000 exemplaires vendus, signe que les lecteurs francophones ont de l"humour.
Du roman à la BD, et au cinéma ?
Fort de cet avantage, Gordon Zola a décidé de passer à la vitesse supérieure et de s’attaquer à la parodie de Tintin, mais cette fois en bande dessinée. "Le graphisme de la collection sera confié à Tristan Badoual, l’excellent concepteur des couvertures actuelles mais vu la charge de travail, nous avons confié la réalisation de ces bandes dessinées à des dessinateurs hollandais qui sont, comme on sait, les champions de la ligne claire hergéenne en Europe" nous dit Gordon Zola. Effectivement, entre Théo Van Den Boogaard qui avait tenté de se lancer dans un Blake et Mortimer ou un Peter Van Dongen, sans doute le meilleur candidat à une reprise de Tintin, le choix ne manque pas. Mais le parodiste reste discret sur le ou les auteurs pressentis. "On risque de leur faire d’amicales pressions..." justifie-t-il.
Une chose est sûre, contrairement à Nick Rodwell, entravé par la promesse d’Hergé qu’il n’y aurait pas de Tintin après la mort de l’artiste, Gordon Zola a bien l’intention de créer des histoires inédites. "On ne va pas se gêner, même si la collection sera nourrie d’adaptations BD tirées des romans publiés. II y aura deux titres par an, réalisés par deux équipes de dessinateurs" nous dit-il. Si l’on connaît le premier roman adapté "Le 13 heures réclame le rouge" avec son fameux submersible en forme de cru classé "Moulin Tsar" (l’album devrait sortir pour Angoulême 2016), l’auteur se montre évasif en ce qui concerne le titre inédit prévu pour la fin de l’année 2016 : "Nous ferons comme Astérix : nous dévoilerons d’abord la date de sortie, puis le titre, puis la couverture..." nous dit Gordon Zola en souriant. Le premier tirage serait de 20 000 exemplaires.
Le fringant éditeur parisien qui a fait ses premières armes dans le monde de la TV (on lui doit le scénario d’un excellent documentaire sur l’auteur de Bob Morane : « Henri Vernes, un aventurier de l’imaginaire », par David Carr-Brown) se met à rêver d’une adaptation de ses romans au cinéma. "Parodier Spielberg, ce serait le pied !" déclare-t-il. Des producteurs se seraient montrés intéressés.
Après les piranhas de Moulinsart, le Léopard Masqué va-t-il devoir affronter les requins d’Hollywood, mille milliards de mille sabords ? Tout porte à le croire...
IL N’EST PAS FRAIS MON POISSON ?
Évidemment, certains d’entre vous ont senti l’odeur de la marée en lisant la date du jour : rien de tout cela n’est vrai. Que les malheureuses victimes de notre plaisanterie nous pardonnent, ce n’était qu’un poisson d’avril...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion