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Marché de la BD francophone : franchement, cela ne va pas si mal...

Par Hippolyte ARZILLIER Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 mars 2024                      Lien  
D'aucuns brandissent le bilan BD 2023 de la société d'études de marché GfK pour dresser un bilan sombre de l’année qui vient de s’écouler. En cause, une baisse globale des ventes de la BD, et plus particulièrement, des ventes de mangas. Pourquoi est-on surpris ? Dans un contexte économique d'inflation et d'incertitudes internationales qui a entraîné l'augmentation du prix du papier et des coûts de distribution des livres, pourquoi ne serait-on pas impactés ? En réalité, le marché ne se porte pas si mal, puisqu’en 2023, les Français ont acheté plus de 75 millions de titres neufs de BD. C’est mieux qu’en 2019, avant la pandémie, en dépit d’une baisse de 5% du chiffre d’affaires par rapport à 2022.

La baisse était attendue. Le succès extraordinaire de la BD et des mangas pendant et juste après la pandémie avait un caractère extraordinaire et s’expliquait : avec la fermeture des cinémas, des musées et autres espaces culturels au cours de la pandémie, et surtout des médiathèques et des bilbiothèques où la bande dessinée et les mangas figurent souvent en tête des emprunts, les jeunes lecteurs (et leurs parents coincés en télétravail...) se sont mis à acheter des livres, d’autant que le Pass Culture installé par le gouvernement était venu opportunément booster la tendance. Le manga étant par excellence la lecture des moins de vingt ans, les ventes ont explosé en atteignant des niveaux inédits. Le ressac qui survient cette année n’est donc pas le symptôme d’une crise, mais le simple effet d’un réajustement.

Le manga, premier concerné par la baisse

Toujours en tête des ventes BD (75 millions d’exemplaires vendus en 2023), le manga est comme de juste le segment le plus touché par ce « retour à la normale ». Selon Casseline Rossello (consultante chez GfK), cette baisse se manifeste surtout par un recul des séries stars : « …En 2022, huit séries avaient vendu plus d’un million d’exemplaires chacune pour un total de 18,4 Mios de livres achetés. En 2023, nous comptons six millionnaires pour 11,8 Mios exemplaires ». Là aussi, nous ne sommes pas surpris : les grandes séries, comme One Piece, s’achèvent ou se sont achevées sans qu’elles soient pour autant relayées par des blockbusters aussi puissants. Mais la diversité des titres traduits par les Français (sans doute l’une des plus importantes dans le monde), pondère ce phénomène : les chiffres de vente demeurent tout de même très élevés et permettent à ce secteur d’afficher sa troisième meilleure performance de la décennie.

La preuve en schéma :

Marché de la BD francophone : franchement, cela ne va pas si mal...
© GFK.

Le bilan n’est pas le même pour ce que l’institut de sondage appelle « la BD de genre », c’est à dire notre bonne vieille BD franco-belge, dont les ventes ont diminué de 4% par rapport à 2022. Selon GFK, 15,8 millions de ces BD ont été vendues cette année sur ce segment, avec en tête des ventes les titres de SF/Fantastique/Heroic Fantasy, suivis des BD documentaires/Non-fiction, un genre dont les ventes sont en hausse depuis 2019. Il est vrai que ce dernier développement s’est fait au détriment des séries de BD classiques.

Tonicité du webtoon et de la BD jeunesse

Seul secteur dont les sorties de caisse ont augmenté de manière significative : la BD jeunesse qui a vu ses ventes grimper à 7% par rapport à l’année précédente, avec 17,2 millions d’exemplaires vendus.

Gaston : un retour fracassant.
© Delaf. Ed. Dupuis.

Là aussi, un examen attentif pondère le constat : selon Casseline Rossello, ces chiffres seraient liés au retour d’Astérix (c’était une année « avec ») et de Gaston dans les librairies. Non seulement ces deux bandes dessinées représentent les deux plus gros succès de l’année 2023 (plus de 2 000 000 d’albums vendus à eux deux), mais « [l]es autres titres de leurs séries ont aussi bénéficié de cet effet de halo ». C’est classique : la nouveauté dynamise toujours le fonds.

En revanche, si l’on retire ces deux exceptions, la tendance est baissière : -7%. Les pithyes du déclin de la BD franco-belge vont encore se remettre à geindre, pourtant le marché s’équilibre entre le maintien des classiques inter-générationnels qui se perpétuent avec un joli dynamisme (Lucky Luke, Blake & Mortimer, Thorgal, Alix, Corto Maltese, Titeuf, Le Chat de Geluck...) et les nouvelles séries (Blacksad, Undertaker, Bouncer, Le Tueur, Tango,...) qui prennent le temps de s’installer sur la durée.

N’en déplaise à César, le succès d’Astérix reste impérial.
© Fabcaro, Didier Conrad. Ed. Albert René.

Autre segment suivant une pente ascendante : le webtoon, dont l’augmentation des ventes est toutefois moins importante que la BD jeunesse, avec 800 000 exemplaires vendus contre 700 000 en 2022, ce qui reste tout de même impressionnant. Selon le rapport GfK, cette hausse aurait pour cause la diversification de son offre de séries, dont le nombre a été multiplié par deux en seulement une année. On peut y ajouter un effort marketing conséquent ces dernières années, même si il a tendance à décroître avec le temps. À voir comment ces chiffres évolueront en 2024…

Le comics, parent pauvre du marché français

Dans un précédent article, nous avions remarqué que le comics était très peu représenté dans les prix décernés par le FIBD ou dans les expositions consacrées depuis deux ans au neuvième art, et pour cause : l’appétence du public pour les univers de Marvel et DC Comics est en déclin.

Ce désintérêt se traduit dans les ventes, avec seulement 2,4 millions de comics vendus en 2023. La raison donnée par GfK est que « le marché est encore trop dépendant des actions dites « petits prix » ». Pour tenir le coup, plusieurs éditeurs – comme Urban Comics, Panini Comics, à l’instar de Dargaud, Casterman ou Futuropolis avec leur format poche– ont choisi de rééditer des séries classiques dans des formats de petite taille et à bas prix. C’est non seulement une opération de « sampling » (« mise en mains » dirait-on dans la langue de Voltaire) mais aussi une façon de pénétrer la grande distribution, les grandes surfaces, dont le marketing est très différent de celui de la librairie.

Le problème est que ces actions ne sont pas propédeutiques à un report sur les séries régulières. On peut faire cette remarque pour l’opération du même genre des 48hBD : comment le gamin pour qui les parents ont acheté un comics "sèche pleurs" à 4€ chez Cultura, Leclerc ou Auchan peut-il jeter son dévolu sur d’autres titres de Panini et Urban Comics, ou d’autres maisons comme Bliss, Delirium ou autres, dont les produits sont le plus souvent entre 20 et 30 euros ? En dépit de certains succès comme The Nice House on the Lake, les ventes sont encore très loin d’être à la hauteur de la richesse du comics étatsunien, lui aussi en déclin marqué.

En dépit de certains succès, le Comics est en baisse en France.
© James Tynion IV, Martínez Bueno Álvaro, Jordie Bellaire. Ed. Urban Comics.

Ces nuances donc prises en compte, force est de constater que le marché de la BD en France est relativement stable, les baisses observées corrigeant le grand boom causé par la pandémie. Comme l’écrit GfK convoquant Jean de la Fontaine : « La bande dessinée plie mais ne rompt pas ».

(par Hippolyte ARZILLIER)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9791026825029

En médaillon : le manga le plus vendu en France, One Piece d’Eiichirō Oda / Shueisha. Ed. Glénat.

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7 Messages :
  • Propédeutique, joli mot que j’essaierai de caser au Scrabble, sauf qu’il est hélas trop long !°)
    Merci en tout cas d’apprendre les subtilités de la langue française à vos membres, certains semblent avoir un niveau limité de lecture qui génère de nombreux contre-sens dans la compréhension des messages qu’ils ont lus.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Maitre Cappelo le 16 mars à  23:20 :

      Propédeutique, joli mot que j’essaierai de caser au Scrabble, sauf qu’il est hélas trop long !

      Mais non il n’est pas trop long, il faut le caser devant le mot Tique que vous-même ou l’adversaire aura eu la bonne idée de placer.

      Répondre à ce message

    • Répondu par Philou le 17 mars à  09:01 :

      Merci Bernard Pivot :)

      Répondre à ce message

  • Comment The Nice House on the Lake a-t-il pu avoir le Fauve de la série alors que ce n’est qu’une histoire en deux parties et pas du tout une série ?

    Répondre à ce message

    • Répondu par Bloch le 18 mars à  06:11 :

      Ces deux albums sont présentés à la fois comme un diptyque et comme le début d’une série. Le deuxième laisse de nombreux points en suspens et laisse entendre que d’autres histoires viendront. Aussi bien le tome suivant est déjà en chantier.

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  • Ce n’est pas le Marché de la BD francophone qui va mal, ce sont ses auteurs qui vont très mal, ils vivent en majorité sous le seuil de pauvreté et la situation se dégrade encore. Les éditeurs se font un pognon de dingue et ils ne redistribuent rien du tout.

    Répondre à ce message

    • Répondu le 17 mars à  14:33 :

      Ben, ils redistribuent ce qui est prévu sur nos contrats… on aurait peut-être dû choisir un autre métier…

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