"Non, je n’irai pas en Alsace, ni en Belgique !, dit René Pétillon (rires) Mais avant même avoir traité la Corse, j’avais pensé à la Bretagne. Mais je n’avais pas de sujet car c’est une réalité qui est beaucoup moins propice au romanesque que ce qu’il y a en Corse qui est extrêmement riche en sujets potentiels..." Avec L’Enquête corse son personnage de détective privé loser Jack Palmer avait obtenu un succès inattendu, glané le Prix du meilleur album du Festival d’Angoulême en 2001 et un film en avait été tiré par le cinéaste Alain Berberian (le frère du dessinateur Charles) en 2004.
S’était-il inspiré d’Astérix, d’ailleurs ? "Je connaissais très bien Astérix, pour plusieurs raisons. D’abord parce que les scénarios de Goscinny sont très drôles et puis le dessin d’Uderzo me séduit complètement : il a un grand pouvoir comique, c’est un très grand humoriste du dessin. Mais ce n’était pas Astérix qui m’a donné l’idée d’envoyer mon personnage de Jack Palmer en Corse, c’était plutôt un dossier trimestriel du "Canard enchaîné" que l’on m’avait demandé d’illustrer et le sujet m’a tout de suite intéressé. Cela a déclenché une envie de parler de l’île."
Évidemment, avant de dessiner l’album, il ouvre Astérix : "Je me suis décidé à faire une BD longue à partir de ces dessins et j’ai bien entendu relu Astérix en Corse, d’abord parce que j’aime beaucoup Astérix et ensuite, je ne voulais pas faire des redites sans m’en rendre compte. Il y a une leçon à tirer du travail de Goscinny et d’Uderzo. Ils se moquent beaucoup des clichés, ils les rafraîchissent. Dans les clichés, il y a toujours une part de vérité et une autre d’exagération. Goscinny sait très bien jouer avec cela. Il s’en sert sans en être dupe en même temps."
Pétillon chez les Bretons (et chez les milliardaires
Quand Pétillon envoie son détective en Bretagne, la référence n’est pas Astérix : on n’y croise pas de cousin anglais buvant le thé à cinq heures d’une manière précieuse, mangeant de la viande étuvée à la menthe, mais plutôt des... milliardaires : "En fait, je suis parti sur une histoire d’art contemporain et j’avais besoin d’une cote rocheuse pour un échouage et je me suis dis : je vais le faire en Bretagne, ce n’est pas ce qui manque là-bas !"
Les milliardaires non plus. Sur la poignée de milliardaires habitant la France, un bon nombre résident en Bretagne : Liliane Bettencourt, François Pinault, Bernard Arnault, Vincent Bolloré... Tous férus d’art contemporain.
"L’art contemporain est un sujet qui m’intéresse depuis longtemps, nous dit Pétillon. J’avais déjà traité le sujet avec Rochette dans "Scandale à New York" (Drugstore, 2004). Je suis parti sur l’état d’esprit de collectionneurs-milliardaires qui se disputent des œuvres uniquement pour leur standing. C’est pour celui qui aura la plus chère, la plus branchée, la plus récente... Et ça a fini par glisser... Ces gens-là fréquentent un certain microcosme, un entre-soi avec les vedettes des médias, etc. Ils passent leur vie sur leurs portables. Le fait de les coller tous dans une propriété en Bretagne va provoquer une rencontre ou plutôt une non-rencontre, parce qu’elle est artificielle, entre les gens du cru et les riches résidents."
Mais s’il n’a pas eu à se documenter sur la Bretagne, "J’y ai vécu assez longtemps, dans le Finistère Nord, sur ce que l’on appelle la cote des naufrageurs. J’avais besoin d’un rocher, cela s’y prêtait bien. Le plus grand phare de Bretagne se trouve là-bas. Tous les Bretons décrits dans l’album sont des souvenirs personnels. Les Bretons sont très festifs", dit-il.
Pour l’art contemporain, en revanche, une enquête est nécessaire. Il en parle longuement avec son ami Rochette, devenu peintre, puis il se documente : "Je n’ai pas été vers les collectionneurs. Je suis allé vers les œuvres et je me suis documenté sur Internet ou dans des bouquins. La plupart des éléments qui m’ont aidé à bâtir mon histoire, je les ai trouvés sur le Net. Rien que dans le domaine des assurances, des cotes qui s’écroulent... -c’est ce qui a déclenché mon envie de raconter cette histoire- il y a moyen de faire une escroquerie fabuleuse ! Le fait que les marchands entretiennent artificiellement les cotes des auteurs est une chose très bien connue. Il y a le coup célèbre de Damien Hirst qui avait énormément d’invendus, ce que les marchands et les galeristes cachaient soigneusement pour maintenir la cote. Un journaliste anglais, Ben Lewis, auteur du documentaire L’Art s’explose est tombé sur la liste secrète que tous les marchands s’échangeaient : il y avait des centaines d’œuvres de Damien Hirst. Or, ce peintre a organisé sa propre vente à des prix extrêmement élevés. Et qui a été obligé de les acheter ? Les marchands, pour éviter que la cote ne s’écroule et que tout ce qu’ils avaient en stock ne se ramasse ! C’est magnifique !"
C’est donc une nouvelle caricature réussie de l’un des aspects les plus grotesques de la société moderne que l’on retrouve dans la nouvelle enquête du détective à l’imperméable improbable.
L’un des éclats de rire les plus savoureux de cette rentrée.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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