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Philippe Geluck : « C’est à ma mort qu’on commencera vraiment à rire ! »

Par Charles-Louis Detournay le 6 novembre 2007                      Lien  
Après quelques vacances salutaires, ce véritable homme-orchestre nous revient avec un album détonnant. Au détour que quelques bons mots, il nous parle de son besoin de calme, de ses futurs projets, et des 25 ans du Chat.

Avec notre notoriété grandissante, vous imposez de plus en plus votre patte, en nommant votre nouvel album : la Marque du Chat ?

L’album aurait effectivement pu s’appeler la patte du Chat, c’est sans doute ce que j’ai voulu dire de manière subliminale, mais consciemment, il s’agit bien entendu d’une couverture hommage. Ma notoriété a peut-être contribué à ce que le Chat devienne quasi une institution. À Bruxelles, il est d’ailleurs aussi connu que Manneken Pis. Lui ne fait pas pipi partout, bien qu’en regardant avec attention la couverture, on peut se demander ce que sont vraiment ces flaques opaques.


Certains de ses propos sont parfois plus explicites qu’un dessin ?

C’est vrai, mais disons que le Chat ne fait pipi contre le vent …


Donc, cet hommage à Jacobs ne s’est pas imposé directement ?

Philippe Geluck : « C'est à ma mort qu'on commencera vraiment à rire ! »Cela me devient de plus en plus difficile de créer une couverture. Pour les 6 premiers albums, j’avais directement le titre et la dessin en un coup d’œil. Ensuite, je me suis mis à hésiter de plus en plus. Pour cette marque du Chat, j’ai imaginé 20 à 30 dessins différents, et une longue liste de titres. J’en ai d’ailleurs pour 110 ans à dessiner avant d’épuiser cette réserve. Normalement, le choix final m’appartient, mais pour le précédent album, j’avais entre 3 possibilités, j’avais alors demandé à mes proches leurs avis, mais pour ce dernier opus, j’ai poussé jusqu’au bout 5 projets pour les présenter à un cercle plus étendu. Malheureusement, aucune unanimité ne s’est déclarée. J’ai alors suivi l’avis de mon éditeur préféré, qui trouvait cette couverture belle, efficace et à la fois surprenante car j’approche les codes BD établis.

Vous êtes effectivement plus dans le dessin humoristique, voire le strip, que la planche classique ?

Je flirte avec la BD, mais je ne crois pas que j’en fasse réellement. Bien entendu, cette Marque du Chat se veut un hommage, et j’ai la chance, ou la possibilité, de réaliser la couverture que je souhaite, car elle n’aura de toute façon pas de rapport avec le contenu de l’album. Ainsi les Rolling Stones avaient réalisé des pochettes de disques en hommage aux Beatles, alors qu’ils avaient leur propre renommée et leur style, mais malgré tout, ils avaient l’impression de suivre, ou de s’inspirer de cet autre groupe mythique. Dans ce même esprit, je me suis dit, si des géants comme eux l’ont osé, pourquoi pas moi ?

Au centre de votre album, on retrouve quand même de belles planches où vous faites intervenir quelques incontournables, comme Lucky Luke, Obélix, et Averell. Si on voit de nouveau l’hommage, on ressent également que les personnages souhaitent échapper à leurs auteurs. Pensez-vous que votre Chat prenne son indépendance ?

Le Chat, c’est toute une palette de produits : des chocolats ...

Dès que j’ai terminé un livre, il ne m’appartient plus. C’est le lecteur qui le fait vivre selon la façon dont il va comprendre et percevoir les gags que j’ai souhaités y mettre. J’essaye d’être là à chaque instant de la production d’un livre : à la mise en page, à la couleur, à l’impression. Mais effectivement, même si je suis très vigilant sur ce que je produis, il arrive un moment où votre personnage dépasse ce que vous voulez créer. S’il a du succès, le public se l’approprie en reprenant un dessin et en changeant le texte, etc. C’est aussi cela, être un peu dépassé par sa réussite.

Vous apportez beaucoup de réflexion au message que vous désirez faire passer.

... aux préservatifs !

Je pars de l’instinctif, d’une impulsion, pour la travailler et lui donner l’apparence que je souhaite. On peut ainsi comparer la conception d’un album à un montage d’un film : avec des dessins réalisés à des moments forts différents, il faut nuancer, déplacer, construire pour produire l’effet escompté.

A ce niveau-là, vous êtes un adepte du comique de répétition. On retrouve donc un de vos personnages fétiches, la Vénus de Milo. Mais vous la placez maintenant des scènes de la vie quotidienne ? Après le Chat s’expose, vous re-liez une fois de plus les œuvres d’art à vos créations ?

Dans cet album, c’est une nouveauté dont je suis assez fier, la vie des statues, et que je vais continuer à exploiter dans le futur. J’ai toujours été intéressé par la muséographie : nous allons d’ailleurs entreprendre l’année prochaine un grand travail sur les rapports du Chat et de l’Art, des grottes de Lascaux à l’art contemporain. Mon optique avec les statues se retrouve dans mon utilisation détournée des gravures du 19° : retravailler des images archi-connues ou totalement oubliées pour jouer le contre-emploi.

Vous parodiez également les Belges avec plus d’entrain que de coutume. Une façon de revendiquer votre appartenance à un peuple dont l’autodérision est une caractéristique nationale ?

Je réaffirme ainsi ma belgitude. Depuis le début, Le Chat, et moi-même, pratiquons l’autodérision universelle du personnage qui se moque de lui-même. Mais depuis que je travaille en France, je me suis rendu compte que certains lecteurs perçoivent le Chat comme un lourdaud assez bête, comme un bon Belge, caricaturalement parlant. Or il est tout sauf naïf, je remets donc une couche pour leur dire : Attention, il s’agit de second, voire de xième degré ! Et en se moquant des Belges comme il se moque des Talibans, le Chat se détache pour mieux faire partager son point de vue.

Si vos albums reprennent le florilège de vos dessins de Presse, le reliquat restera-t-il toujours dans les oubliettes ?

Avec le temps, je me suis rendu compte que des gags que j’ai écartés par manque de pertinence, prennent toutes leurs forces dix ans plus tard. Si le Chat intéresse encore le public après ma mort, mes héritiers pourront publier encore des dizaines d’albums : c’est à ma mort qu’on commencera vraiment à rire !

Vous qui dites qu’une journée sans rire est une journée de foutue, vous pourrez alors vous enorgueillir d’avoir la plus belle des morts en continuant à égayer pas mal de lecteurs !

Voilà peut-être la vraie survie de l’âme, chère aux croyants ! J’y pense en écoutant Mozart, ou en regardant un dessin de Reiser, ou de Chaval. Ils me donnent encore du bonheur malgré leur absence : c’est leur immortalité ! Je pense malheureusement qu’il n’en existe pas d’autres. Mais elle n’est pas uniquement dévolue aux artistes, car chaque personne qui a apporté une amélioration autour de soi, dans le cercle familial, voire étendu, peut obtenir cette forme de subsistance après sa mort. Je crois à ce rayonnement autour de soi : Mozart perdure grâce à ses concertos pour piano, et mon grand-père pour sa gelée de pommes !

L’année dernière, vous avez arrêté votre chronique chez Michel Drucker, vous avez stoppé en juin votre émission de radio avec Laurent Ruquier. Est-ce qu’après ces années à courir de train en taxi, de studio en plateau de télé, vous n’avez pas besoin de vous ressourcer ?

J’avais besoin de souffler, et ce temps gagné m’a permis de plus m’appliquer sur mes dessins. Les échos de cet album sont d’ailleurs très positifs, parce qu’il est plein de petites surprises. J’ai besoin d’arrêter mes projets audio-visuels de temps en temps pour mieux rebondir. Et puis, j’ai couru pendant 10 ans entre la Belgique et Paris, et j’ai maintenant envie de profiter de temps libre, de recul et de calme. C’est aussi ce que j’avais dit en 1999, juste après avoir arrêté le Jeu des Dictionnaires, mais je n’ai eu que 3 mois de répit avant le coup de téléphone de Laurent Ruquier. Maintenant, ce sera peut-être Spielberg pour sa prochaine adaptation. Étant petit, je m’identifiais à Tintin en lisant ses aventures, mais à Paris, pas mal d’amis m’ont dit que j’avais un côté Tryphon. On croit être Tintin, et on se rend compte qu’on est Tournesol.

Vous avez sûrement un peu de Tintin, pour l’esprit aventureux (quoique pour la mèche...), le côté emporté d’Haddock et l’imagination de Tournesol. Mais pour revenir aux propositions alléchantes, votre téléphone sonne, et vous voyez que c’est Spielberg ou Woody Allen... Vous faites quoi ?

Je ne décroche pas ! Idem pour Laurent Ruquier, on en a longuement parlé ensemble, on m’a présenté des projets très intéressants, mais je n’accepte rien pour l’instant. Je veux m’octroyer un peu de temps. Ainsi, je viens revivre à Bruxelles, tout en gardant ma maison en banlieue.

Vous êtes aussi directeur de collection de C’est pour offrir

Là aussi, je me suis également mis en congé, car c’était sans doute la casquette de trop. Actuellement, on ne planche sur aucune nouveauté. On garde la collection car l’idée de base est très sympathique, à savoir se consacrer à des auteurs en devenir. Mais, moi-même, j’ai encore trop de choses à dire pour me décider à me dédier totalement aux autres créateurs.

Mais qu’est-ce que vous avez envie de dire maintenant ?

L’année prochaine risque d’être pleine de surprises car elle marquera les 25 ans du Chat. Il y aura quelques évènements-clés dans l’année, dont un nouvel opus qui viendra donc casser la biannualité de ses albums. Le Chat s’expose poursuit sa route, pour prendre place à Lille, puis en Suisse et ailleurs. Ensuite, je souhaiterais qu’elle termine ses jours à Bruxelles dans un lieu qui pourrait l’accueillir comme exposition permanente. Nous reverrons sans doute sa structure, car je me suis rendu compte qu’elle prenait également tout son charme dans un musée plus classique, comme à Bordeaux ou à Rennes. Si on me propose le Musée d’Art Ancien, je suis d’accord, mais il faudra juste le renommer et retirer tous ces vieux tableaux, qui sont déjà dans les livres. En plus, on pourra tous les revendre, cela comblerait une partie de la dette, et cela ferait de la place pour le Chat ! Dans un classement des personnages belges, j’avais d’ailleurs été classé 13ème devant Rubens, et juste derrière Zénobe Gramme, l’inventeur de la dynamo.

Étant décédés, ces deux personnages illustres ne peuvent plus rien produire, vous allez sûrement encore monter dans ce classement.

Il faut se méfier de Gramme, il continue à produire beaucoup d’électricité par personnes interposées.

Grâce à votre renommée hors du Plat Pays, on peut vous considérer comme le Commandant Cousteau des Belges ?

Sûrement, mais je reste trop bavard pour le monde du silence !

(par Charles-Louis Detournay)

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