Nous vous présentions, en août 2017, la souscription lancée par Les Éditions de la Cerise pour la publication d’un fort volume rassemblant poèmes de la dynastie Song et illustrations de Dai Dunbang (戴敦邦). Les souscripteurs avaient pu recevoir l’ouvrage en fin d’année dernière et quelques librairies bordelaises avaient également pu être servies - Les Éditions de la Cerise étant basées dans la cité girondine [1]. Mais il aura fallu attendre presque un an pour que ce beau livre devienne accessible aisément.
Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes regroupe une cinquantaine de poèmes datant de la dynastie Song. Chacun de ces poèmes qui sont aussi des chansons pour la plupart, dont l’auteur est nommé et situé chronologiquement, est illustré par Dai Dunbang (né en 1938), à la manière de ses lointains prédécesseurs ayant vécu lors cette période que nous nommons en Occident le Moyen Âge. Dai Dunbang est connu comme peintre et portraitiste depuis les années 1960 et il a également enseigné à Shanghai. Il s’est distingué surtout comme illustrateur de classiques de la littérature chinoise et dessinateur de lianhuanhuas à partir des années 1980.
Le traducteur, Bertrand Goujard, a dû réaliser un important travail de sélection, d’adaptation, la langue et la poésie ayant des règles spécifiques ardues à transposer. Les poèmes ont été choisis pour offrir un panorama de la dynastie Song puisqu’ils s’étalent du Xe au XIIIe siècle [2]. Ils en reflètent la richesse, la diversité et la finesse. Bertrand Goujard s’est également attelé à la rédaction d’une double introduction - sur la dynastie Song d’une part et sur la poésie chinoise d’autre part - et d’abondantes notes faisant de Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes à la fois un livre d’art et un ouvrage savant. Il ravira ainsi autant les amateurs des arts orientaux que les sinologues et les linguistes.
La poésie de la dynastie Song est à l’aune de la Chine de l’époque : étonnamment moderne, vivante et subtile. La croissance démographique - l’Empire forme déjà la région la plus peuplée du monde - et l’essor économique contribuent à des évolutions sociales qui n’arrivent que bien plus tard en Europe, telles l’exode rural ou le développement de la proto-industrie. L’avance technique de la Chine - songeons que l’imprimerie à caractères mobiles existe depuis le XIe siècle ! - et le dynamisme de ses explorateurs ainsi que de ses marchands témoignent de l’élan de cette époque. La structuration même de l’État prouve que l’Empire du Milieu est entré dans une forme de modernité que le reste du monde ne connaît alors pas.
L’une des caractéristiques singulières de la dynastie Song est d’avoir favorisé les arts et la culture. La classe gouvernante accordait une valeur prépondérante à l’éducation et à l’érudition et était particulièrement attachée à la musique, à la peinture, au dessin et à la littérature. Ainsi, l’empereur Huizong, qui a régné au début du XIIe siècle, se représentait-il lui-même dans des peintures sur soie et se glorifiait-il de sa maîtrise de la musique et de la calligraphie. Nombre d’œuvres nous sont parvenues, et ce n’est pas le moindre des services que nous rendent Les Éditions de la Cerise en nous permettant d’admirer le raffinement d’une culture millénaire.
Les illustrations de Dai Dunbang s’inspirent directement des œuvres de cette époque. Sa finesse de trait et ses compositions à la fois complexes et lumineuses trouvent leurs racines dans les encres sur soie de Zhang Zeduan (1085-1145) ou les encres sur papier de Zhao Mengfu (1254-1322) notamment. L’utilisation des tons, l’étagement des plans créant l’illusion de profondeur et l’association de la stylisation au souci du détail font de chaque dessin de Dai Dunbang un véritable tableau racontant une histoire en écho au poème qu’il accompagne.
Les Éditions de la Cerise ont donc réalisé un travail rare et soigné avec cet ouvrage aussi beau qu’érudit. Elles n’en ont pas pour autant terminé avec la civilisation chinoise. Elles ont en effet prévu, pour le début de l’année 2019, la publication des Souvenirs de Hulan He, un roman de la poétesse chinoise Xiao Hong (1911-1942) illustré cette fois par Hou Guoliang. Écrit en exil du fait de la guerre et souvent traduit sous le titre Contes de la rivière Hulan, ce roman redonne vie aux campagnes chinoises, n’hésitant pas au passage à en dénoncer certaines traditions. Une nouvelle occasion de redécouvrir une culture encore trop souvent réduite à quelques stéréotypes, comme Hergé le brocardait déjà en 1935 dans Le Lotus Bleu !
(par Frédéric HOJLO)
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Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes - Par Dai Dunbang (illustrations) - Les Éditions de la Cerise - traduction, notes et annexes de Bertrand Goujard, suivi du projet par Yohan Radomski & relecture d’Antoine Trouillard - édition bilingue - 28,7 x 28,7 cm - 136 pages couleurs - couverture cartonnée avec dorures, dos toilé, tranchefile et signet - parution le 25 octobre 2018.
Souvenirs de Hulan He - Par Xiao Hong (roman) & Hou Guoliang (illustrations) - traduction de Grégory Mardaga & adaptation d’Antoine Trouillard - 21 x 21 cm - 100 pages couleurs - couverture souple avec rabats et dorures - parution le 7 février 2019.
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Les Editions de la Cerise lancent une souscription pour un livre de l’illustrateur chinois Dai Dunbang
[1] Toute la fabrication a d’ailleurs été locale, les différentes entreprises ayant participé se situant en Nouvelle-Aquitaine.
[2] L’ouvrage compte au total 57 poèmes écrits par 39 auteurs différents.
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