« Le best-seller mondial qui a réussi à faire lire trente millions d’enfants ! » dit le sticker des éditions Dupuis collé en couverture de cette BD jeunesse au format roman graphique. Car oui, Dog Man est un phénomène unique. Dès son premier tome publié en 2016, le héros de Dav Pikley (déjà créateur de Captain Underpants, Capitaine Slip en français), chaque volume de la série caracole en tête des ventes nord-américaines à son lancement.
Ainsi, fin mars 2021, en une semaine, 236 000 exemplaires de Dog Man, Mothering Heights, le 10e opus de la série, ont trouvé preneurs en librairies. Une hégémonie d’ampleur, plus "mortelle" qu’Adèle.
Selon notre confrère ICV2, en juin dernier, les cinq meilleures ventes en bande dessinée jeunesse sont toutes occupées par l’univers de Dog Man. On comprend mieux comment le chiffre d’affaires américain du secteur a dorénavant dépassé celui des publications dédiées aux super-héros.
Outre une version québécoise baptisée Super Chien, il a donc fallu cinq ans pour voir Dog Man en version française. À l’origine de l’arrivée de la franchise chez Dupuis, Sergio Honorez, directeur éditorial jusqu’en mars 2020 : « J’ai découvert Dog Man à New-York lors de la sortie du premier tome en passant devant les bureaux de Scholastic, se souvient-il. Cet éditeur est reconnu pour son sérieux auprès des parents et du milieu éducatif. Il s’est lancé dans la création d’un label de bande dessinée [Scholastic Graphix, NDLR] en effectuant un travail de fond. » En effet ; cette maison reconnue notamment pour ses manuels scolaires et les romans Harry Potter est aussi l’éditeur qui a fait de l’estimé Bone par Jeff Smith, un succès commercial en le proposant en albums couleurs.
Lire Dog Man, c’est se retrouver saisi par l’humour absurde de Dav Pikley dont le héros-titre est le meilleur flic de New-York à qui on a greffé la tête du meilleur chien policier. D’épisode en épisode, il lutte par la ruse contre les complots incroyables ourdis par Monpetit, un chat comme il se doit dans les histoires de chien. Mais surtout, Dog Man garde des caractéristiques bien canines, il fait régner l’ordre à coup de léchouilles et s’oublie plus qu’à son tour sur le canapé de son chef.
Conquis, Sergio Honorez a lui-même traduit ces histoires rocambolesques avec un clin d’œil appuyé aux Shadocks, le dessin animé tout aussi dingue de Jacques Rouxel : « Je me suis fait plaisir. J’y trouve le même humour. Prendre le meilleur d’un chien et d’un humain, c’est bien une logique Shadock. » Et derrière cette absurdité de premier plan, une pensée subtile. On apprécie par exemple le troisième chapitre où Monpetit devient maître du monde en faisant disparaitre tous les livres de la surface du globe, ce qui change les individus -Dog Man compris- en parfaits crétins.
On retiendra surtout une bande dessinée en proximité avec les plus jeunes, un style graphique enfantin, revendiqué par l’auteur qui pousse sa démarche jusqu’à inventer un duo d’auteurs fictifs, George et Harold qui auraient "inventé" Dog-Man à la maternelle et auraient dessiné ses aventures contre l’avis négatif de leurs enseignants. En bref, les enfants aiment ces histoires parce qu’elles semblent créées par des enfants. « Ce livre fonctionne parce qu’il est focalisé sur l’accessibilité, commente Stéphane Beaujean, nouveau directeur éditorial chez Dupuis. Lecture et langage graphique simplifié, médiation, le lecteur est souvent interpelé : "mets tes mains ici"… » .
Sergio Honorez renchérit : « Les enfants disent : "c’est dessiné comme nous on dessine", jusque dans les bulles avec des textes parfois raturés. Dave Pilkey était atteint de dyslexie et de troubles de l’attention. À l’école, il passait la moitié de ses journées puni dans le couloir. De quoi développer une certaine insolence et un sens profond de l’injustice. »
En dépit de ces qualités évidentes, Dog Man réussira-t-il à s’imposer entre Bruxelles et Perpignan ? « Difficile, reconnaît Sergio Honorez. Dav Pikley a réussi à créer un rapport fort avec ses lecteurs. En francophonie, on sacralise le livre et j’ai peur que les intermédiaires imposent leur vision : " un livre doit être bien dessiné, sans mots corrigés à même le dessin, …" » Stéphane Beaujean cultive les même craintes : « Communiquer sur le fait qu’il s’agit de la BD la plus vendue dans le monde a un impact, mais les libraires pourront-ils s’emparer de cet humour absurde anglo-saxon ? Ce même humour qui a tout de même fait le succès des Simpson. Ça se tente ! »
Le pari peut s’avérer d’autant plus intéressant qu’à l’instar de Captain Underpants, les studio DreamWorks ont annoncé en décembre 2020 la mise en chantier d’un long-métrage Dog Man. Affaire à suivre...
Voir en ligne : Pour lire des histoires de Dog Man en anglais, cliquez sur les couvertures.
(par Laurent Melikian)
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