« Je suis lassé de la petite bande de "gardien-nes" du bon goût qui sévit dans la BD en ce moment, montrant les dents si quiconque remet en question leur choix sacro-saint (sélection d’Angoulême et finalistes du Grand Prix), balance sur sa page Facebook Jean-Marc Rochette, célèbre dessinateur du Transperceneige/Snowpiercer et auteur multiprimé en 2022 pour La Dernière Reine. D’autant que je ne leur vois aucun talent particulier qui leur permet de se revendiquer arbitre des élégances. "Elles/ils" se sont la plus part du temps inspiré-es de l’underground, très tardivement et sous une forme affadie, édulcorée, souvent subventionné-es ad vitam par le CNL. Pour une bonne compréhension du public woke, que je sais particulièrement pointilleux, j’ai tenu à exprimer ma pensée en écriture inclusive. »
« Ce sont de petits garde-rouges dont les publications se bornent la plupart du temps à répéter ce qu’il est bon ton de répéter…, renchérit Jacques Terpant en commentaire. Des années que je ne vote plus et que je ne vais plus dans ce salon non plus... Je me souviens, la lumière m’est apparue, quand un jour mon éditeur (Futuropolis) me dit : "- Tu viens à Angoulême." J’avais regardé la sélection, on était en 2016 ou 2017, et je me suis demandé d’un seul coup pourquoi j’allais dans un salon qui par tous ces canaux de communication me disait : on vous invite, mais on ne vous aime pas, vous avez vu ? Je n’ai plus jamais voté, je n’y suis, plus jamais retourné. »
De son côté, Jean-Christophe Menu, éditeur du label alternatif L’Apocalypse et l’un des fondateurs de L’Association, réagit sur son compte Facebook : « 2e tour du grand prix d’Angoulême. Posy Simmonds, Dan Clowes, Catherine Meurisse. Nous avons là trois grands auteur-trice-s, trois œuvres aussi singulières qu’accomplies, qui chacune forcent le respect. La profession a bien voté ! Est-ce à dire qu’on y progresse ? Je n’en suis pas si sûr : depuis hier, à survoler facebook, et notamment des comptes BD plus mainstream, je vais d’hallu en hallu. Ici, c’est le fait qu’il y ait un Américain et une Britannique qui est attaqué (le Festival n’a-t-il pourtant pas le mot « international » dans son intitulé depuis belle lurette ?). Là, c’est le fait qu’on ait deux autrices qui est moqué. Mieux, les deux à la fois : « des femmes, des étrangers, il ne nous manque plus que des inuits » ai-je pu lire. J’ai même lu avec effroi que Catherine Meurisse « capitaliserait sur le fait d’être une survivante ». Et en général, le fait que les trois soient jugés « élitistes ». Pas de doute, ceux qui s’expriment tout bas dans ce milieu brassent les mêmes remugles que notre tout nouveau gouvernement Travail Famille Patrie. Quoi qu’on pense des prix, quel que soit le lauréat, ce trio final est réjouissant car il est l’indice d’une profession en mutation, qui met enfin en avant des œuvres exigeantes, interrogeant le réel et le médium avec personnalité et acuité, et non des produits évalués selon leur potentiel marchand. Et ce hors des critères de genre ou de nationalité. Enfin des singularités, et non de banales virtuosités au service d’un académisme de divertissement. Enfin de l’Art, et non de la production industrielle. On progresse. Mais soyons vigilants, la Beaufitude est loin d’avoir disparu de notre petit monde et elle se fait de plus en plus haineuse. »
En deux posts, la question est bien posée : à quoi sert le Grand Prix d’Angoulême ? Est-ce la consécration d’un auteur ultra-célébré, un hommage ultime et la « vitrine » de la création européenne ou la mise en avant de « singularités » créatives ?
Dans la sémantique utilisée de part et d’autre, on sent bien que le clivage n’est pas qu’artistique...
Ce débat rejoint la question de l’opacité que nous évoquions en début d’article : une meilleure connaissance de la sociologie des votants, dont on ignore aujourd’hui l’origine, donnerait peut-être davantage de clarté au vote. Les Eisner Awards du Comic Con de San Diego sont, à ce titre, irréprochables : on sait de quelle « profession » on parle. Laisser ainsi les votants comme le public dans l’expectative, dans un tel contexte de suspicion, ne peut qu’attiser le sentiment de « beaufitude haineuse » qu’évoque JC Menu.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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