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Un palmarès sous tension.

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 janvier 2005                      Lien  
Les responsables du Festival mettent en avant « un palmarès très international », à défaut de mieux. La soirée de remise des prix d'Angoulême qui a eu lieu au théâtre jeudi dernier a laissé aux observateurs le sentiment que les distinctions de cette édition seront aussi vite oubliées que les polémiques qu'elles ont suscitées. On n'oubliera pas cependant une atmosphère plombée par les grèves et par les tensions créées par la mutation prochaine du festival angoumoisin.

Ces sacrées grèves ont en effet perturbé la belle mécanique mise en place par les organisateurs. Avec un président idéal, Zep, qui a plus que mouillé sa chemise dans son implication pour la réussite du festival, et qui a inventé le concept de ces « concerts d’images » qui sont incontestablement une des réussites de cette édition, le Festival démarrait sous les meilleurs auspices. Mais très vite, la machine se grippe. La cérémonie des prix est entachée par les absences des auteurs bloqués à cause des grèves de trains, les problèmes d’organisation se démultiplient. C’était visible dès jeudi, les organisateurs étaient sur les genoux.

Un palmarès sous tension.
J-M. Thévenet, Art Spiegelman et Françoise Mouly
pendant l’hommage à Will Eisner. Photo : D. Pasamonik

Un hommage à Will Eisner par Art Spiegelman

La cérémonie des prix est un bel exemple de cette situation : la soirée commence brillamment, Art Spiegelman étant invité sur le podium pour rendre un hommage à Will Eisner, second grand prix de la ville d’Angoulême et ami de longue date du Festival. Au moment exactement où l’on commémore les soixante ans d’Auschwitz, le créateur de Maus, seul auteur de BD ayant reçu un « Prix Pulitzer », vient célébrer celui qui a non seulement contribué à inventer l’industrie de la BD mais qui a aussi rendu possible l’expression dans la BD d’une judéité jusque-là absente dans ce moyen d’expression. Un symbole pour Spiegelman. Il rappela à quel point les Juifs ont contribué à l’invention du comic-book, soulignant que la BD avait quelques affinités avec le yiddish, cette langue, composite d’allemand, de polonais, de russe et d’hébreu, qui est, selon ses propres mots, « un langage constitué d’autres langages », en même temps que l’expression d’une culture populaire. Parlant d’Eisner, il dit notamment : « Son père, un émigrant juif, artiste raté, encourageait ses fils à devenir artistes de théâtre. Sa mère voulait qu’ils soient des hommes d’affaire. Will Eisner, ce visionnaire pragmatique, a réussi à faire les deux. »

Un palmarès sous influence ?

Yoshihiro Tatsumi
Inventeur du Gegika : ("Les Larmes de la bête" et "Coup d’Eclat", Vertige Graphic), il a reçu un prix-hommage du Festival.

Que dire du palmarès issu des choix d’un jury composé de personnalité très différentes : aux côtés de Zep, il y avait des journalistes (Antoine Duplan, Ariane Valadier, Monique Younès), un psychanalyste (Serge Tisseron) et des écrivains (Martin Winkler, Christophe Ono-Dit-Biot). On peut être certain qu’ils ont fait leur travail en conscience. Mais le choix pose question. Il n’a en effet rien de très novateur : Satrapi pour le meilleur album, une auteure déjà distinguée plusieurs fois par le Festival, un prix du meilleur dessin à Taniguchi, lui aussi plusieurs fois primé à Angoulême, un prix du patrimoine à Mandryka (pour un ouvrage, Le Concombre Masqué, les Années Pilote, qui constitue le degré zéro du travail éditorial) déjà Grand Prix de la Ville d’Angoulême... On a le sentiment que le jury, impressionné par le coup de gueule de Joann Sfar contre une sélection qui ne lui semblait pas représenter la création contemporaine, lui donne finalement raison a posteriori en choisissant de distinguer des auteurs qui ne constituent pas, c’est le moins que l’on puisse dire, des « découvertes ».

Comment ne pas considérer que les trois prix un peu « légitimes », à savoir celui de la série pour Lapinot de Trondheim (dont l’auteur, ironie du sort, vient précisément d’occire son personnage principal), celui du premier album à De Mal en Pis d’Alex Robinson (Editions Rackham), un pavé de lectures de 608 pages passionnant et sensible, ou encore le très étonnant prix du scénario pour Comme des Lapins de Ralf Koenig, souvent surnommé le « Bretécher homosexuel », viennent là pour donner du piment à une sélection bien fade.

J-M. Thévenet et M. Satrapi
Marjane Satrapi : "J’ai cru mourir". Photo : D. Pasamonik

« J’ai cru mourir »

Malgré une tentative d’animation par des instants musicaux de grande qualité, la cérémonie s’est tout de suite alourdie de longueurs. Jean-Marc Thévenet, plutôt pas mal dans ce genre d’exercice qu’il pratiqua avant de devenir le directeur du Festival, a dû se farcir comme chaque année la litanie des prix sponsorisés, et le public avec lui. Quelques instants marquants de la cérémonie : le dialogue étrange entre Thévenet et Takéi, le créateur de Shaman King : « - « Il paraît que vous aimez Serge Gainsbourg », lui dit Thévenet. - « Oui, effectivement, lui répond le Japonais, il est très connu au Japon ». -« Ce n’est pas le cas en France », lui dit Thévenet, maniant un second degré dont il a seul le secret. « - Je ne sais pas si je dois prendre bien ou mal ce que vous me dites », lui répond le mangaka. Plus tard, Tatsumi, l’inventeur du Gegika, est sollicité pour remettre le prix à Trondheim. Celui-ci saute sur l’estrade, lui arrache le prix des mains et, sans un mot, se tire en courant, si vite qu’aucun photographe n’a pu saisir la scène. Inutile de dire qu’auprès des Japonais, la réputation d’Angoulême est faite...

Le pompon revient à Marjane Satrapi qui, montant sur le podium pour recevoir le Prix du meilleur album pour Poulet aux Prunes, dit à Thévenet, évidemment ravi on imagine, qu’elle a cru mourir tellement la cérémonie durait longtemps. Et de remercier ses amis avant de dire : «  Je me remercie également moi-même. » Le public quitta le théâtre avec soulagement.

Nous vous raconterons dans ces prochains jours les autres facettes de la manifestation angoumoisine et notamment les questions qui se posent sur son avenir.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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2 Messages :
  • Tout ceci est bien amusant ! Mais n’est pas le signe qu’il est temps pour le monde de la bande dessinée de franchir un pas qu’elle n’a pas encore osé ? Le Festival d’Angoulème ne deviendrait-il pas trop "petit" au regard de l’ambition médiatique de certains auteurs. Il semble que certains se voient déjà à des cérémonies "façon Cannes"...
    Pour ma part qui travaille dans le monde du cinéma, je préfère la fraîcheur et la proximité d’Angoulême et que Marjane le sache, toutes les cérémonies de remise de prix sont ennuyeuses... même à Cannes !

    DB

    Voir en ligne : > Angoulême 2005 : Un palmarès sous tension.

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  • ben pourquoi un prix doit forcement être décerné à qq chose de novateur ? faut juste faire un " prix novateur " à ce moment -là

    cérémonie 2005 " plombante" : ok ,mais et les autres années ? on a l’impression que ce n’est que cette année ds votre article
    sinon , effectivement , a lire certains articles , on a l’impression qu’ angouleme va finir par etre dépassée par son succés et l’impact de + en + gd de la BD ds la société . D’ou leur volonté de s’élargir , avec les expos itinérantes ( et plutot sympa : mortimer , autos ), les extensions prévues . Plus la nouveauté de cette année : la journée de la bd , le 4 juin ( qui ne vient pas d’angouleme )

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