La folle histoire des sœurs Papin – Par Isabelle Bedouet – Éditions Ouest France

On les appelle les « âmes siamoises » ou les « mauvaises brebis du Bon Pasteur » : Christine et Léa Papin ont respectivement 27 et 21 ans quand elles assassinent Léonie et Geneviève Lancelin, pour qui elles travaillent en tant que domestiques.

Parmi les détails les plus choquants du passage à l’acte, on retient souvent que les deux sœurs ont énucléé à mains nues leurs victimes avant de les achever en les frappant à la tête avec un pot en étain avec une férocité inouïe.

Si l’affaire fait encore tant parler de nos jours, c’est en raison de sa particulière violence, parce que les criminelles sont des femmes et que leurs actes vont à rebours de l’idée communément admise que la violence serait « naturellement » masculine, mais aussi parce que le procès des sœurs Papin n’a pas permis de faire toute la lumière sur le déroulement des faits et de leurs motivations, tant elles ont eu un comportement étrangement mutique au tribunal.

90 ans après le crime, Isabelle Bedouet tente de reconstituer avec minutie la vérité de cette affaire, en dépit des inconnues qui demeurent, et tente aussi de comprendre comment les sœurs ont été considérées, et donc jugées.

Grâce à un important travail d’archives (presse, correspondances des experts-psychiatres, dossier d’instruction...), elle questionne certaines interprétations (un crime qui illustrerait la lutte des classes) et rumeurs (une homosexualité incestueuse) encore en vogue aujourd’hui.

L’autrice s’intéresse à l’enfance des sœurs Papin, à leur trajectoire sociale, et à la manière dont elles ont construit un rapport pour le moins contrarié, si ce n’est paranoïaque, vis-à-vis de leurs employeurs.

Sans éluder la question de la relation économique et donc sociale entre les protagonistes, elle montre comment le procès a éludé toute explication liée à une fragilité psychologique des sœurs, notamment chez l’aînée, mais aussi comment les problèmes professionnels de M. Lancelin ont été écartés.

Isabelle Bedouet, psychothérapeute, montre bien comment une telle affaire serait traitée d’une tout autre manière aujourd’hui, et combien, sans complaisance pour Léa et Christine Papin, le traitement des affaires judiciaires est aussi le reflet des valeurs, des moyens, des connaissances et des croyances de son temps.

Dans une logique compréhensive, sont restitués les points de vue des protagonistes, appuyés par la reproduction de lettres et de documents de presse qui montrent le retentissement de l’affaire dans la France entière. C’est avec passion que l’on se plonge dans cet ouvrage qui se lit comme une enquête, et qui révèle que les deux sœurs ont probablement été très influencées par un crime similaire à celui qu’elles commettent quelques mois auparavant.

Sur la forme, le livre (22*16 cm) est davantage un « récit dessiné » constitué de récitatifs, sans que les personnages ne s’expriment directement, ce qui a pour effet d’ajouter chez toutes et tous une dose de mystère.

Au dessin, Isabelle Bedouet, qui a fait des études artistiques à l’école supérieure des Beaux-arts du Mans, propose un style qui semble influencé par la peinture, dans des tonalités majoritairement sombres.