Cinquante ans de la révolution des œillets : Maria et Salazar par Robin Walter

L’histoire de Manuel et Maria relatée par Robin Walter illustre parfaitement ce propos. Maria est au service de la famille de Robin Walter depuis des années. Elle s’est occupée de la maison familiale de Champigny-sur-Marne. Il se souvient de sa joie de vivre et de ses fameuses frites dont il a transmis le goût et l’addiction à ses propres enfants. Mais la famille prend de l’âge, a envie de plus d’espace et les parents de Robin veulent partir vivre à la montagne. Il faut vendre la maison et se séparer de Maria. La nostalgie s’empare de chacun ; on prépare le déménagement et l’éloignement d’avec celle qui a accompagné avec bienveillance la famille de Robin Walter des années durant.

Alors vient l’idée de raconter le périple de Maria et de Manuel, son mari. Et comme Robin Walter s’est déjà illustré à plusieurs reprises dans le monde de la bande dessinée, pourquoi ne pas réaliser un roman graphique sur l’histoire de ce couple de Portugais qui a fui la dictature d’Europe la moins connue, celle installée par Salazar au milieu des années 1930 et qui dura près de 40 ans ?

L’auteur entreprend alors de questionner Maria, se plonge dans les albums photos et dans les livres d’Histoire et raconte comment Manuel, parti le premier, a été accueilli et souvent exploité par des entrepreneurs français et par son propre cousin. Son objectif : gagner un peu d’argent afin de faire venir Maria. Lorsque celle-ci arrive, c’est la grande inconnue. Elle ne connait ni la langue, ni la valeur de la monnaie française. Elle cumule les petits emplois jusqu’à rencontrer les parents de Robin Walter chez qui elle s’est installée.

A travers ce couple d’exilés portugais, c’est toute l’histoire de la communauté immigrée la plus nombreuse d’Europe qui y est évoquée. Il montre aussi comment le pouvoir portugais a menti au monde entier lors du départ de plus de 900 000 de ses concitoyens ; à l’époque, le gouvernement prétexta une émigration contrôlée et voulue, alors qu’il était embourbé dans des conflit coloniaux en Afrique.

© Robin Walter. Ed. Des ronds dans l’O.

La vie difficile de ces expatriés logés dans un premier temps dans le bidonville de Champigny est aussi parfaitement représentée et questionne le lecteur. Ce dernier découvre le paradoxe de mai 68 dont les émeutes ont fait peur aux familles immigrées de France alors qu’elles étaient en partie guidées par la volonté de leur octroyer plus d’égalité, de reconnaissance et de dignité. Il apprend aussi comment le dictateur Salazar entretenait de bonnes relations avec ses voisins européens, craignant qu’un renversement populaire de son régime installe un gouvernement communiste en Europe de l’Ouest. Il y a 50 ans jour pour jour, c’en était fini de la dictature, des œillets bouchaient les fusils, un vent de liberté soufflait sur le Portugal et une nouvelle ère s’ouvrait pour tous ces émigrés.

© Robin Walter. Ed. Des ronds dans l’O.

Ce livre est aussi une véritable réflexion sur les migrations dans la mesure où l’auteur met sur papier des réflexions que devrait avoir tout citoyen responsable et doté de raison. Il va ainsi à l’encontre des menteurs de toutes sortes et s’érige contre les théories fausses et dangereuses trop souvent véhiculées par certains hommes politiques dans de trop nombreux médias et réseaux sociaux. En remettant de la vérité dans le récit des migrations européennes depuis les années 1960, il apaise une histoire souvent dévoyée et calme les esprits qui s’échauffent au moindre piège tendu par les faiseurs de haine. Un ouvrage pédagogique et sensible absolument nécessaire à notre époque.