Sous la forme d’un récit personnel puisant dans la mémoire familiale, le carnet de rêves de Théa Rojzman explore bien plus qu’un univers imaginaire disparu.
Les songes évoqués dans le titre sont ceux d’une grand-mère qui a connu la Shoah, mais datant de 1936. De ce point de départ, un personnage mutin de 25 ans, sorte de double de l’auteure, s’interroge et s’implique, en particulier en évoquant l’antisémitisme et ses nouveaux visages ignobles. Mais la fantaisie du récit va jusqu’à la confronter à sa créatrice elle-même, bien embarrassée de devoir rendre des comptes...
Ce type d’album aux cases en liberté, au ton personnel et ludique, qui vise à chaque détour de page à une réflexion souvent profonde, évoque à la fois des romans comme le Vol d’Icare de Queneau ou un film récent tel que l’incroyable destin de Harold Creek de Marc Forster. Deux fictions où le héros se révolte contre son sort.
Tout en jouant sur les formes (les décors évoluent constamment) et une auto-critique acidulée ("y’a jamais personne qui débarque dans cette histoire de chiotte !" s’emporte Laura, le personnage/passeuse), Théa Rojzman s’interroge à haute voix sur les méandres de la mémoire, de la création, et ses propres angoisses.
Les audaces graphiques de l’album ne séduiront pas tous les publics, mais les non-initiés au Neuvième Art entreront sans difficulté dans ce labyrinthe humaniste, notamment grâce à des textes de qualité : "Je tremble devant le retour des métaphores douteuses", s’inquiète l’héroïne pointant le nouvel antisémitisme.
On a connu pire façon de faire des pirouettes avec son moi et son sur-moi, et la fantaisie formelle de ce carnet multicolore constitue un rempart solide contre l’ennui.
images copyright Théa Rojzman
(par David TAUGIS)
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