Nicolas Sarkozy et ses brillantes plumes n’ont eu de cesse de dénoncer « la repentance » qui "exige des fils qu’ils expient les fautes supposées de leurs pères et de leurs aïeux". Et toc !, à l’endroit du « devoir de mémoire » de Jacques Chirac… Le même Sarkozy considérait que les Africains n’étaient pas assez entrés dans l’Histoire…
Toute perte de mémoire aboutit à fatalement un raisonnement déficient, dégradé et à une morale oublieuse. Il peut sembler vain l’exercice qui consiste à rétablir, avec une simple bande dessinée, la mémoire d’une femme, Armelle Mabon, une historienne qui a documenté le massacre de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, où des centaines de soldats français, des tirailleurs sénégalais tout justes rentrés de quatre années de guerre, des gens qui venaient de libérer la France du joug nazi, près de 300 « indigènes » parmi les 1600 regroupés dans un camp jusqu’à leur démobilisation, ont été massacrés, le 1er décembre 1944, dans un crime prémédité.
Un rapport d’officiers fait état de 35 morts, 35 blessés et 34 condamnés. Pourtant, dans un poème Léopold Sedar Senghor, raconte ce traumatisme sénégalais. Sa voix porta si loin et si i fort qu’Armelle Mabon rouvrit le dossier, trouvant sur sa route des archives maquillées ou dissimulées, des faux rapports, des intimidations tentant de dissimuler ce crime d’État.
En réalité, les Africains étaient bien entrés dans l’Histoire, au prix de leur sang, sauf que c’était dans l’Histoire européenne. Si M. Sarkozy a préféré l’oublier, son successeur François Hollande aussi, qui est allé saluer les 200 tombes alignées de soldats « morts pour la France » face à un musée de la mémoire sénégalaise, ignorait que des centaines d’autres victimes étaient couchées dans la fosse commune d’à côté. Grandeur et petitesse de la politique…
Le scénariste Pat Perna (Kersten, Forçats, Darnand, le bourreau français…) et le dessinateur Nicolas Otero (Le Réseau Papillon, 24h de la vie d’une femme, Amerikkka…) sont allés sur les traces de cette historienne. Leur BD de reportage fait parler les derniers témoins, une centaine environ, à Dakar, à Thiaroye, à Diakhao, dont quelques-uns sont les propres enfants de ces soldats dont la mémoire a été bafouée. Complété par un dossier de la revue XXI écrit par Pat Perna, cet album rend justice à des justiciers oubliés.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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