Planetary (Ellis/Cassaday), ou l’histoire secrète du XXème siècle vue à travers ses super-héros et ses monstres ; Powers (Bendis/Oeming), avec ses flics enquêtant sur des crimes impliquant des super-héros ; Ex Machina (Vaughn/Harris), fable politico-fantastique où un ancien super-héros devient maire de New York... On pourrait citer nombre d’exemples de séries qui se présentent comme des actualisations ou des variations du genre qui occupe la plus grande partie de la production comics : le super-héros. En quelque sorte, ce genre connaît la même évolution que celle qu’a connue depuis longtemps le polar, ce qui a donné naissance à bien des grands bouquins.
Ultra, des frères Jonathan et Joshua Luna, est de celles-là. La comparaison est évidente, et d’ailleurs mise en avant par l’éditeur : on est dans Sex and the city version super-héros. Pearl (Ultra) est très copine avec Olivia (Aphrodite) et Jen (Cowgirl) ; Olivia baise avec autant de mecs que possible, Olivia a un petit copain (très ami avec son mentor...) et Pearl, pourtant l’une des plus populaires super-héroïnes, est toute seule depuis un bon moment. Quand les trois amies, sur un coup de tête, se font dire la bonne aventure, la voyante prédit à Pearl qu’elle trouvera le grand amour d’ici sept jours. L’album suit donc cette semaine dans la vie d’une jeune femme un peu déboussolée.
Le style de dessin de Jonathan Luna (son frère s’occupe du scénario et des découpages, et lui du dessin et des couleurs) est à l’image de l’histoire : moderne et léger, solide et plutôt sobre. Ses personnages féminins sont de jolies filles, mais elles sont loin des machines à fantasmes adolescents qui peuplent encore beaucoup de comics de super-héros. Leur physique et leur psychologie semble d’ailleurs pensés pour plaire aussi bien aux hommes qu’aux femmes, entre autres par la façon dont les auteurs ne les soumettent nullement à la volonté masculine (même symboliquement).
Le contexte de l’histoire est aussi à noter : dans cette ville, les super-héros sont des célébrités gérées comme n’importe quelle star de notre monde, ce qui donne lieu à de nombreuses scènes cocasses quand leurs fans se manifestent d’une façon ou d’une autre. Les auteurs s’amusent d’ailleurs beaucoup en incluant fausses pubs et couvertures imitées de divers magazines (Time, Maxim, etc.), qui renforcent évidemment le parallèle entre les super-héros du monde de Ultra et les stars du nôtre.
Ils se permettent aussi quelques coups de canifs contre la la médiatisation à outrance des célébrités, et les nombreux problèmes que cela engendre.
Un autre aspect de la modernité de cette série (les deux frères ont la vingtaine, et il s’agit de leur premier travail professionnel) est la vision donnée de la sexualité : on ne voit aucune condamnation morale de celle qui baise à droite et à gauche (ni aucune "punition" par un quelconque truc scénaristique, contrairement à ce qui se produit malheureusement encore dans une bonne partie de la fiction contemporaine), les rapports hommes/femmes ne donnant jamais lieu à une condamnation facile des travers de l’un ou l’autre sexe - on peut aussi remarquer que les personnages homos font diablement penser aux stars de notre monde dans le placard, l’humour référencé super-héros en plus.
Si le cinéma s’inspire de plus en plus des super-héros, il est évident que les comics s’inspirent eux aussi de ce qui se passe du côté des autres médias. Quand cela donne une série aussi agréable que peut l’être Ultra [1], le lecteur ne s’en plaindra pas, bien au contraire.
(par François Peneaud)
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Site officiel des frères Luna (en Anglais).
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[1] Les frères Luna, qui ont lancé une nouvelle série, Girls, pour Image, l’éditeur d’Ultra, vont aussi réaliser avec le scénariste Brian Michael Bendis une mini-série sur le personnage de Spider-Woman, pour Marvel.
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