Albums

Une saison à l’ONU – Karim Lebhour et Aude Massot - Steinkis

Par Damien Boone le 10 novembre 2018                      Lien  
Durant quatre ans, Karim Lebhour a observé comme correspondant de presse le fonctionnement de l'ONU. Il en tire un recueil de chroniques douces-amères, entre défense du principe de l'institution et de ses réelles avancées, et constat de son impuissance récurrente.

On prête à l’ancien Premier Ministre Britannique Churchill la définition suivante de la démocratie : « C’est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres déjà essayés par le passé ». À la lecture de cet ouvrage, on vient à penser que Karim Lebhour, correspondant à l’ONU pour Radio France International de 2010 à 2014, pense peu ou prou la même chose des Nations Unies.

Cette expérience avait déjà fait l’objet d’un premier reportage intitulé « Syrie : le veto de l’ONU » dans La Revue Dessinée au printemps 2014. Homme de terrain, Karim Lebhour est aujourd’hui responsable de la communication Amérique du Nord de l’International Crisis Group. Passé par le Proche-Orient et le Kenya, il a par le passé publié Jours tranquilles à Gaza en 2010, un recueil de chroniques.

Une saison à l'ONU – Karim Lebhour et Aude Massot - Steinkis

D’un côté, l’auteur démonte quelques préjugés tenaces sur l’institution : non, ce n’est pas un gouvernement mondial. Chaque État membre y défend ses intérêts nationaux, à commencer par les plus puissants d’entre eux, les cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) du conseil de sécurité et leur fameux droit de veto, désigné comme la « clé de voûte » du système onusien.

Certes, les cinq en usent et en abusent (la récente crise syrienne et le veto systématique de la Russie à toute intervention sont longuement développés), y voient tantôt un garde-fou contre toute ingérence (les États-Unis refusent systématiquement toute sanction contre leur allié israëlien au nom de ce principe), tantôt un frein à une nécessaire intervention selon les circonstances (ces mêmes États-Unis se sont longtemps comportés comme les « gendarmes du monde » en défendant le principe inverse), mais il est aussi un privilège des puissants qui, sans ce droit, n’accepteraient jamais de débattre de certains problèmes qui resteraient sans espace d’expression. Aujourd’hui, l’ONU compte 193 États membres, y compris les îles Marshall, qui alertent sur le changement climatique, ou Haïti, écrasé par le poids de la dette. Ils peuvent s’y exprimer... devant une assemblée clairsemée, certes.

De l’autre, l’ouvrage pointe une bureaucratie écrasante : l’ONU à New York, ce sont 6 000 salariés, et, avec ses diverses agences, 44 000 au niveau mondial. Des discours à n’en plus finir, que personne n’écoute : l’anecdote ubuesque du ministre indien qui ne se rend compte qu’au bout de longues minutes qu’il est en train de lire le texte de son homologue portugais est à ce titre révélatrice.

Ainsi, l’ONU n’empêche pas les tensions, ne peut pas tout régler, voit monter inexorablement une nouvelle guerre froide avec la Russie... mais qu’en serait-il si elle n’était pas là ? En épigraphe, on trouve ces mots de Dag Hammarskjöld, secrétaire général de 1953 à 1961 : « L’ONU n’a pas créé le paradis, mais elle a évité l’enfer. ». Constamment insatisfaisant, elle crée des frustrations mais s’efforce de maintenir des équilibres fragiles.

L’album alterne entre passages documentaires et didactiques sur le fonctionnement institutionnel de l’organisation, et d’autres plus décalés et légers, mais toujours révélateurs, par exemple l’interview 100% langue de bois de Ban-Ki-Moon qui, en plaçant quelques mots-clés que chacun peut investir à sa convenance, prend soin de ne fâcher personne. Ces chroniques sont souvent humoristiques, toujours documentées, se lisent de façon fluide et peuvent être lues indépendamment les unes des autres.

Au dessin, Aude Massot, diplômée de l’école Saint-Luc de Bruxelles, auteure en 2017 de Chronique du 115 sur le Samu Social, et que l’on avait vue par exemple ici en 2009 avec Fabien Bertrand propose un trait qui se prête fort bien à un album proche d’un reportage journalistique. La teinte bleue, constante, rappelle la couleur de l’ONU, et celle de l’horizon qu’on aimerait qu’elle offre.

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782368461280

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Damien Boone  
A LIRE AUSSI  
Albums  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD