L’adaptation du célèbre roman de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal par Ambre, Lionel Tran et Valérie Berge nous plonge dans la peau d’un presseur de papier travaillant au pilon. Durant trente-cinq ans, Hanta, ouvrier illettré et alcoolique, a détruit quotidiennement des livres. Tombé amoureux fou des oeuvres qu’il était chargé d’éliminer, il a sauvé toutes celles qu’il pouvait, entassant des tonnes d’ouvrages dans son appartement. Jusqu’au jour où son patron lui fait visiter une usine de recyclage moderne et lui annonce sa mise en disponibilité. Le monde de Hanta s’effondre.
Connus avec "Le journal d’un loser", une approche remarquée du mal être de la génération des trentenaires actuels (6 Pieds Sous Terre 1999, 2002), Ambre, Lionel Tran et Valérie Berge nous livrent un album d’une violence et d’une beauté rares. Poursuivant leur exploration d’une bande dessinée littéraire, ils confirment avec "Une trop bruyante solitude" leur maîtrise d’une bande dessinée à la fois engagée et expérimentale. D’une lecture extrêmement fluide, "Une trop bruyante solitude" est un album qui ébranle émotionnellement le lecteur en lui faisant ressentir le sentiment d’un basculement soudain dans l’obsolescence sociale.
Réalisée à l’issue d’années de recherches documentaires et d’implications sur le terrain, "Une trop bruyante solitude" repousse les limites de l’adaptation littéraire en bande dessinée. Loin d’un simple travail d’illustration, l’adaptation d’"Une trop bruyante solitude" est une traduction exacte du sentiment que véhicule le roman de Bohumil Hrabal, dont le style est restitué par un subtil jeu de décalage entre le texte et les images qui constituent l’album.
(par Patrick Albray)
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Entre photographies noir et blanc surexposées et gravures à l’ancienne, les cases égrènent les mots du roman original, dans un long et émouvant monologue sans aucun phylactère. Surpris dans les premières pages, on s’attache progressivement à ce vieil homme, on l’écoute raconter sa vie, sa solitude, son désespoir, jusqu’au drame final. Un livre riche, parfois déroutant par la nature expérimentale de la narration, mais qu’on lit d’une traite, de plus en plus ému par le destin absurde de cet être humain isolé des autres et qui trouve dans le sauvetage des livres et dans leur découverte, une raison pour survivre et sa seule raison d’exister.