Alors que Casemate a décidé de ne pas communiquer sur sa continuation suite à la mise en liquidation de sa société éditrice, que les éditions Dargaud ont interrompu au numéro 100 l’exploitation de leur Lettre, qu’enfin le magazine Cargozone ne répond plus, Bruno Bonnell, propriétaire du magazine BoDoï vient à son tour de décider de suspendre momentanément son exploitation en kiosque au bout de 122 numéros et onze ans d’existence, le temps de « switcher » sur une exploitation uniquement sur Internet. Par ailleurs, Frédéric Bosser arrête son activité de galeriste pour s’investir complètement dans l’exploitation de [dDB] et le magazine gratuit Zoo affiche pour son dernier numéro un tirage de 92.000 exemplaires diffusés en librairie, avec des recettes publicitaires qui font le plein. Il n’y a aucun doute, la presse d’information sur la BD est en pleine révolution.
Le plus ancien magazine d’information sur la BD en kiosque
Fondé en septembre 1997 par les frères Vidal et Hervé Loiselet qui en fut le gérant pendant deux ans, BoDoï est le plus ancien titre d’information sur la BD sur le marché, mixant interviews, articles de fond et prépublications, avec une qualité constante et un sens de l’à-propos rarement pris en défaut. Hélas, le modèle économique n’a jamais été avéré. Au bout de quelques années, Hervé Loiselet quitta le navire pour d’autres destinées éditoriales (il créa notamment pour Soleil Bandes Dessinées Magazine, puis Suprême Dimension qui s’arrêta également pour passer à une version en ligne dont il s’occupe encore aujourd’hui) tandis que le flamboyant Bruno Bonnell, le patron de Atari, abonné de la première heure, entrait dans le capital, reprenant notamment les parts de Mon Journal, de Halloween Concept et de Loiselet qui en étaient actionnaires. Mais au fil du temps et des augmentations de capital, la rédaction de BoDoï entra en conflit avec son actionnaire qui attendait avec raison un juste retour sur son investissement et une évolution un peu plus dynamique, ce qui provoqua dans un premier temps le départ de son rédacteur en chef, Jean-Marc Vidal, puis de son frère Frédéric, allé fonder le magazine concurrent Casemate pour la société Story, la même qui avait épaulé la création de BoDoï à ses débuts et qui se trouve aujourd’hui en liquidation sans que l’on sache ce qu’il advient du titre.
C’est fini pour BoDoï ? « BoDoï ne s’arrête pas !, s’insurge son propriétaire Bruno Bonnell, le N°123 sortira pour Angoulême. Notre équipe travaille déjà depuis plusieurs mois sur l’évolution de BoDoï dans le monde du digital et notamment sur un portail qui permettra de réunir, autour du thème BD, beaucoup plus d’informations, de moyens ou d’accès à la BD et à ses produits dérivés et qui sera montré à Angoulême en janvier 2009. »
L’Internet deviendrait-il le nouvel Eldorado de l’info BD ?
Une version « web » associée à une version papier ou quelque chose de plus radical ? « « Tout internet » c’est logique, nous explique Hervé Loiselet, responsable éditorial de Soleilprod.com l’info BD n’a aucune valeur : c’est gratuit sur le Net. On ne peut pas vendre des journaux imprimés avec de l’info BD, j’en ai aujourd’hui la certitude. En revanche on pourra vendre sur Internet d’autres services, et de la sorte rémunérer une équipe rédactionnelle dont les papiers resteront en accès libre et gratuits. » Bruno Bonnell confirme : « La presse BD en kiosque trouve son équilibre aujourd’hui essentiellement par l’intervention publicitaire des éditeurs. De nombreux contacts récents avec ceux-ci m’ont convaincu qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre des investissements importants dans ce type de presse. C’est un peu paradoxal mais, soit ils travaillent sur des personnages et des séries connues et ils préfèrent faire de la publicité à plus grande échelle : XIII, Titeuf, Astérix… Soit ils travaillent sur des ouvrages plus confidentiels et les coûts de lancement sont suffisamment importants pour qu’ils ne trouvent pas les moyens de mettre significativement de l’argent dans la presse BD. Ils font des choix. Un mois ils aident un support, l’autre mois, ils vont en aider un autre ; bref, tout le monde est dans une situation assez précaire, vivant au mois le mois selon les décisions marketing des éditeurs. La presse, en diffusion, ne permet pas de financer l’équilibre de ces journaux. »
D’où l’idée du portail digital qu’est en train de lancer BoDoï : gagner de l’argent en s’adressant à une communauté plus large que celle des acheteurs en kiosque en leur proposant des conseils, des produits dérivés que cela soit sous forme de DVD ou de jeux vidéo… Le personnel est le même qu’avant, aucun membre de la rédaction ne sera licencié. « Il faut trouver plus de revenus pour ces journaux, dans un esprit de mix digital/papier pour que les lecteurs puissent continuer à jouir de la bonne santé financière de leurs journaux favoris. » Une partie de sa conviction a été forgée quand l’entrepreneur a racheté, voici six mois, le site de vente en ligne de produits dérivés de BD ABD.com, une entreprise qui s’avère rentable.
Connu pour son volontarisme, Bruno Bonnell a choisi de ne pas regarder les ventes de son journal s’étioler et a décidé de suspendre momentanément sa publication afin de mobiliser son équipe sur le portail BoDoï.com, un projet qui lui semble aller dans le sens de l’histoire et qui appelle à des partenariats avec les autres acteurs du monde numérique, très actifs en ce moment, comme nous vous l’évoquions récemment. « Je préfère investir de l’argent sur ce qui, à mon avis, est l’avenir de tous les médias, à savoir le digital associé au papier, plutôt que de continuer à combler des pertes sur un seul support que la révolution digitale, de toute façon, va finir par rendre un petit peu obsolète. Ce n’est pas la mort de l’imprimé. La presse, le livre et l’Internet doivent s’associer aux médias digitaux pour trouver une économie différente dans l’avenir. La mécanique traditionnelle « revenus de la diffusion + revenus de la publicité = revenus de la presse », a déjà montré ses limites dans d’autres médias. Au niveau de la niche des journaux BD, on peut faire quelque chose d’intéressant qui, aujourd’hui, n’existe pas. J’invite d’ailleurs tous les gens qui veulent se joindre à nous pour créer en partenariat cette activité numérique de nous écrire pour proposer leurs projets ».
« Investir dans une communication digitale plutôt que presse, pourquoi pas ?, nous dit l’éditeur Pierre Paquet. Il ajoute, pragmatique : « Tout dépendra des budgets demandés. »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Bruno Bonnell - Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD).
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