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Chris Claremont : « Magnéto aurait dû tendre à la rédemption. »

Par Romuald LEFEBVRE le 23 janvier 2017                      Lien  
Ce dimanche 22 janvier, après un enthousiasmant débat au Mémorial de la Shoah animé par le journaliste Philippe Guedj sur le thème « Pourquoi les super-héros n'ont-ils pas libéré Auschwitz ? », avec l’historien Tal Bruttman et le fondateur de « Métal Hurlant » Jean-Pierre Dionnet, le mythique auteur Chris Claremont, qui sera aux Rencontres Internationales du Festival d'Angoulême à la fin de cette semaine, a accepté de répondre à quelques questions pour ActuaBD.
Chris Claremont : « Magnéto aurait dû tendre à la rédemption. »
La fameuse Saga du Phénix noir
© Marvel Comics

En 1981, à une époque votre œuvre où des histoires sont appelées à devenir des mythes fondateurs pour les X-Men comme La Saga du Phénix noir ou Days of Future Past, vous présentez aux lecteurs un nouveau visage du personnage de Magnéto : il devient un survivant de la Shoah. Pourquoi avoir choisi de traiter de ce thème ? Pourquoi Magnéto ? Comment ont réagi vos éditeurs à votre choix ?

Chris Claremont  : La réponse est à rebours de votre questionnement. Ce choix a été fait lors de réunions avec les éditeurs, notamment Len Wein, Dave Cockrum et Jim Shooter. Quand Cockrum et moi avons pris la série, la décision fut de ramener Magnéto. Les X-Men avaient besoin de retrouver leur principal antagoniste. Les Quatre Fantastiques avaient le Dr. Fatalis, Spider-Man avait le Bouffon Vert, Thor avait Loki. Les X-Men avaient besoin de Magnéto.

Quand nous avions décidé de ramener Magnéto, j’ai lu les histoires qui constituaient son background et j’ai constaté qu’il n’avait pas une histoire personnelle viable. Les X-Men veulent protéger l’Humanité, Magnéto et sa Confrérie des Mauvais Mutants la conquérir. Quelle forme idiote que celle que prend alors son organisation, la Confrérie des Mauvais Mutants : pourquoi pas carrément les appeler « la Confrérie des Mutants arrogants » ?

Débat au Mémorial de la Shoah avec Jean-Pierre Dionnet, Chris Claremont, Philippe Guedj et Tal Bruttmann.
Le célèbre "run" Days of the Future Past
© Marvel Comics

On s’est donc posé différentes questions basiques : qui est-il ? Dans quelles circonstances a t-il vécu pour arriver à une vie de crimes ? Pourquoi est-il furieux ? Qu’est-ce qui peut définir ainsi un homme d’âge mûr dans les années 1980 ? La réponse a été la Shoah. Quand John Byrne et moi travaillions sur Days of Future Past, nous avons pu commencer à mettre en place des éléments allant en ce sens pour Magnéto dans une temporalité du futur, éléments confirmés après par le personnage de Rachel Grey quand elle arrive dans le temps présent.

À partir de là, Magnéto n’était plus simplement « mauvais » : quand prend-on la mauvaise direction ? Que peut ressentir un survivant de la Shoah ? Ce choix a été l’un des points les années suivantes où John Byrne et moi n’étions pas d’accord : après avoir souhaité le retour à la vie de Jean Grey, Byrne souhaitait revenir sur le fait que Magnéto puisse être un personnage positif et bon. Différents artistes, différentes perspectives…

Pour moi, il s’agissait d’une progression naturelle, mais je n’ai pas pu finir mon œuvre. Magnéto aurait dû tendre à la rédemption [1].

La rencontre a fait salle comble.
Le numéro 150 des X-Men où Magnéto révèle son passé de rescapé des camps de la mort nazis.
© Marvel Comics

À travers les personnages de Kitty Pryde et de Magnéto, la culture et le peuple juifs ont été mis à l’honneur dans les aventures des X-Men durant les années 1980. Pourriez-vous nous expliquer si la culture juive a eu une influence sur votre œuvre ?

Je ne pense pas que j’ai été influencé par la culture juive. Mon éducation est très standard pour mon époque, mes parents n’ont tous les deux pas embrassé la religion de leurs propres parents ou de leurs proches. [2] Il s’agissait davantage de trouver une équivalence dans la société, de montrer des actes qui affectaient des minorités dans la société américaine. Et ce parfois jusqu’à nos jours. Que ce soient les homosexuels, les femmes, les Afro-Américains, les Irlandais, les Hispaniques... Il y a toujours ce réflexe de dire que l’autre n’est pas le bienvenu. On pense même construire des murs, dire à ces personnes qu’elles n’appartiennent pas à cet endroit. Que l’on ne prendra que les plus méritants, mais pas tout le monde…

Le script original de l’épisode 150
Courtesy of Columbia University in the City of New York.

Qu’est-ce que cela signifie ? Si les natifs américains avaient eu la même attitude il y a 400 ans avec les migrants venus d’Angleterre, ils les auraient massacrés et l’histoire nord-américaine aurait été tout autre. Pourtant, les natifs américains leur ont dit qu’ils étaient leurs invités, que leur maison était très grande et qu’il y aurait de la place pour tous. Les Européens ne l’ont pas bien réalisé et, avec arrogance, ne se sont pas montrés très partageurs. Je pense que la culture américaine a été créée par des réfugiés, des migrants, des gens qui ne sont pas venus de leur plein gré ou qui ont été enlevés pour devenir des esclaves... Pourtant, ils ont su trouver les solutions pour progresser ensemble au fil du temps. C’est pour cela que nous devons combattre. Et je dis cela en étant l’un de ces immigrants [3].

Par exemple, lors de mon premier jour à l’école, je me suis habillé comme un écolier britannique avec le costume et le short traditionnels, j’ai ressenti que je n’étais alors pas été le bienvenu par mes nouveaux camarades à cause de cette différence. J’ai donc cherché à m’intégrer, ne plus être le vilain petit canard à nouveau. C’est une leçon que j’ai gardé toute ma vie et que j’ai apportée aux X-Men : ils essayent de s’intégrer.

À l’image de Kurt Wagner, Diablo, qui use et abuse à un moment de diffuseurs d’images pour avoir une apparence qui ne choque pas les gens. Pourtant, Logan vient le voir et lui dit « Tu es effrayant ? La belle affaire ! Marche tel que tu es dans la rue et constate la véritable réaction des gens, si tu en as le courage. » Il le fait, et ça marche bien pour lui. Quand Kitty intègre les X-Men, elle est effrayée par l’allure de Diablo qui, lui, est terrifiant. Au contraire, Peter [Colossus] est un type très beau et elle devient vite son amie. Pourtant, dans Days of Future Past, quand Kitty vient du futur, elle embrasse en premier Diablo en s’écriant « Oh mon dieu ! Tu es encore en vie ! » L’idée derrière tout ça, c’est qu’à un moment de notre existence, on rencontre tous quelqu’un qui est « l’autre » : est-on alors capable de se mettre dans les dispositions pour faire le premier pas qui permettra d’aller au-delà, de conjuguer nos personnalités ?

Quelle est l’histoire dans votre carrière dont vous êtes le plus fier ?

Celle que je n’ai pas encore écrite ! Si on regarde les X-Men, mon run de 17 ans, pour moi, ce n’est qu’une seule histoire. Elle a commencé avec le numéro 94 et se termine avec le numéro 279 en page 11, quand je l’ai laissée. C’est là où j’avais le plus de contrôle sur les personnages et leurs vies. Mais ce n’est qu’une histoire, car la vie n’est qu’une histoire. C’est fini, c’est terminé. Vous, en tant que lecteurs, pouvez la jugez comme vous le souhaitez. Vous pouvez tirer vos propres conclusions, il n’y a rien que je puisse y faire. Je ne me fais donc pas de souci pour une histoire qui est conclue. Les histoires à venir sont celles qui m’intéressent le plus, car elles sont comme des pays inconnus à découvrir. Pour conclure, je dirais que je réserve mes espoirs et mon enthousiasme pour les histoires à venir, car ce sont celles où je peux avoir le contrôle.

Propos recueillis par Romuald Lefebvre.

Jean-Pierre Dionnet, Chris Claremont, Philippe Guedj et Tal Bruttmann

(par Romuald LEFEBVRE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782207136683

MÉMORIAL DE LA SHOAH
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Métro Saint-Paul ou Hôtel-de-Ville
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L’expo "Shoah et bande dessinée" sur le site du Mémorial de la Shoah
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Photos : Didier Pasamonik (L’Agence BD)

[1Lors d’une discussion hors micro avec le commissaire de l’exposition au Mémorial de la Shoah, Didier Pasamonik, Chris Claremont a expliqué qu’il n’avait pas pu écrire tout ce qu’il avait prévu pour le personnage de Magnéto dans les années 1980. Charles Xavier aurait dû mourir et être remplacé par Magnéto à la tête de l’école pour jeunes mutants. Le personnage aurait alors fait siennes les idées de changement par l’éducation de Charles, scellant ainsi sa rédemption définitive.

[2Chris Claremont a expliqué durant la conférence au Mémorial de la Shoah que son père était anglican et sa mère juive.

[3Chris Claremont et ses parents sont originaires du Royaume-Uni, ils se sont installés aux États-Unis durant sa jeunesse.

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