C’est un sacré travail auquel s’attache ici Will Eisner ! A quatre-vingt-cinq printemps, son propos reste toujours aussi pertinent, peut-être parce qu’il est avant tout extrêmement modeste. Mais pas sans ambition : Pédagogique, il se propose d’expliquer au lecteur comment, selon lui, le célèbre roman de Charles Dickens Oliver Twist a contribué à forger le stéréotype négatif du juif, fondement de l’antisémitisme à venir.
« « Le fait est que l’auteur n’a jamais eu l’intention de dénigrer le peuple juif écrit Eisner dans la post-face. Mais en faisant référence à Fagin comme « le Juif » tout au long de son livre, il a encouragé le préjugé à [son] encontre. Au fil du temps, Oliver Twist est devenu un incontournable de la littérature enfantine, et le stéréotype s’est perpétué. » Il est vrai que Dickens est un des premiers feuilletonistes, quasi co-inventeur de cette forme romanesque, et que son œuvre a eu une diffusion mondiale, en particulier dans les milieux populaires dont il s’était fait le représentant et le défenseur.
Eisner ne dénonce rien. Son livre n’est pas un essai. Il s’est contenté de creuser un peu davantage l’histoire et la personnalité du receleur Fagin, une figure centrale du roman de Charles Dickens, qui organise autour de lui une cour des miracles devenue, pour des enfants laissés à l’abandon, un véritable école du crime, à laquelle Oliver Twist est bien obligé d’adhérer. Il montre que c’est l’exclusion dont fait l’objet ce juif ashkénaze fraîchement émigré dans la société londonienne qui le met sur les voies de traverses que lui impose son instinct de survie.
Il aurait pu ajouter que l’Angleterre entretenait depuis longtemps un antijudaïsme religieux grand pourvoyeur de mythologie excluante, sinon criminelle. Le cas de Guillaume de Norwich, comme l’a si bien expliqué l’historien américain Gavin Langmuir créa, vers 1150, une accusation de crime rituel qui fit florès jusqu’au coeur du 20ème siècle.
L’exposé de Will Eisner aurait pu être, en raison du thème traité, un peu lourd ou ennuyeux. Ce n’est pas le cas : Fagin le Juif est ni plus ni moins un chapitre supplémentaire au chef d’œuvre du romancier anglais. Comme le dit Eisner lui-même, il s’agit là d’une histoire « tue et négligée par le livre Charles Dickens. »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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