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Frédéric Jannin & Stefan Liberski : "Nos chiens bleus ont minimum quatre albums pour convaincre le public"

Par Charles-Louis Detournay le 22 décembre 2008                      Lien  
Le premier a débuté avec Franquin, le second alterne les films et les livres, et mon tout a fait les beaux jours de la télévision comique et satirique. Ils adaptent en bande dessinée les courts-métrages de leurs chiens philosophes, en passant du huitième au neuvième art, une acrobatie toute cathodique et plutôt à contre-sens du commun.

Vous adaptez donc en bande dessinée les courts métrages animés de votre émission Jaadtoly [1], période bleue !

Frédéric Jannin : Ce premier tome reprend les classiques avec les deux chiens devant leur écuelle, mais nous nous sommes rapidement rendus compte qu’un album complet avec les mêmes images risquait fort de provoquer une indigestion.
Stefan Liberski : Nous avons donc ajouté des inédits et des sorties de thèmes avec des personnages humains. Bien entendu, nous souhaitons alors repasser de l’autre bord et adapter ces inédits à la télévision.

Frédéric Jannin & Stefan Liberski : "Nos chiens bleus ont minimum quatre albums pour convaincre le public"Via ces deux chiens philosophes, vous dévoilez les thématiques qui vous interpellent quotidiennement ?

Liberski : Nous ne sommes sûrement pas les premiers à donner les paroles à des animaux pour décortiquer les travers des humains, d’autres en font leurs succès, comme Monsieur de la Fontaine, ou Geluck.
Jannin : Des grèves aux séries télé, nous nous recentrons plus sur les petites choses de la vie, qui nous chatouillent les narines.
Liberski : À chaque fois que Frédéric et moi évoquons les phénomènes de l’actualité, on pense directement à le traduire en sketch ou en dessin.
Jannin : Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que des histoires écrites il y a dix ans collent toujours formidablement à l’actualité, et que nous n’avons du en écarter que quelques-unes.

Vos dessins animés profitaient d’un tempo caractéristique, composé de blancs, et d’un comique visuel propre. Comment vous êtes-vous adaptés à la bande dessinée, où le lecteur décide seul des pauses qu’il fait lors de sa lecture ?

Jannin : Ce qui assez rare et qui fait notre plus gros avantage, c’est que le dessin animé existait antérieurement. Bien entendu, ceux qui connaissaient les personnages et leurs caractéristiques se placeront d’eux-mêmes dans cette traduction des séquences. D’ailleurs, personne ne pourra nous dire : «  Les voix des chiens dans la BD ne collent pas du tout avec ceux du dessin animé ! » Cela avait été une des grosses critiques qu’Hergé avait essuyées après le premier film de Tintin : certains lecteurs lui reprochant ne pas avoir pris les voix qu’ils ‘entendaient’ en lisant les albums ! (rires)
Liberski : Nous nous sommes beaucoup penchés sur cette question des silences, si caractéristiques du dessin animé. Il était bien entendu impossible de placer une case muette entre chaque dialogue, cela serait vite devenu ridicule. On suppose donc que le lecteur trouvera son juste tempo pour se plonger dans ces albums.

Dans le même sens, ces petites saynètes sont souvent drôles en elles-mêmes, mais la chute, que vous caractérisez en disant ‘Gag’, risquent de nouveau de déstabiliser le nouveau lecteur ?

Jannin : Nous ne voulions pas changer la première recette, car dans ce cas, aucun ancien téléspectateur ne s’y retrouverait. Puis, nous espérons que ces nouveaux lecteurs pourront également bientôt découvrir les animés, et donner une autre dimension à leur lecture.
Liberski : Nous avons bien entendu tout fait pour qu’on puisse facilement rentrer dans ces histoires sans connaître la précédente version. Nous avions aussi pensé glisser dans un premier temps un DVD pour accompagner ce premier tome, mais in fine, cela ne s’est pas fait.

L’éditeur Luc Pire (gauche), accompagné de ses deux lascars : Jannin (milieu) et Liberski (droite).

Sans doute une discussion que vous avez eue avec votre éditeur. A ce propos, comment s’est réalisé la concrétisation de cette série d’albums, avec Luc Pire ?

Janin : Nous avions le projet de sortir cela il y a quelques années chez Casterman.
Liberski : Mais c’était le moment où ils changeaient rapidement de politique éditoriale pour reprendre pied, et après un temps d’attente, nous avons repris nos billes afin cet album ait une chance de voir le jour.
Jannin : Bien sûr, nous nous sentons très bien chez un éditeur qui publie Dubus & Pierre Kroll [2], et qui ne fait pas que de la bande dessinée, car cette série est à cheval sur plusieurs genres. Cela renforce également l’aspect ‘belgitude’ mais sans s’y limiter !
Luc Pire : Comme on parle de moi, j’en profite pour intervenir ! J’étais déjà un fan de Jannin comme dessinateur, mais encore plus de ses séries télévisuelles : j’ai beaucoup d’admiration pour ce groupe et son humour si spécial, car ils s’aventurent sur des sujets osés, tout en restant très fins. En tant qu’ancien publicitaire, j’apprécie bien entendu la critique qu’ils font de la publicité. J’espère que les fans des différents milieux (littéraire, cinématographique, BD et télévisé) vont s’additionner pour profiter de cette série. C’est d’ailleurs un des rares albums à profiter d’un tel merchandising à sa sortie !

Vous avez donc signé pour plusieurs tomes !

Jannin : Il est effectivement prévu de faire au minimum quatre albums des chiens bleus, et encore plus si le public en redemande. Cette sortie sera annuelle et on peut déjà voir l’évolution naturelle des personnages sur l’ensemble du premier tome !
L’éditeur Luc Pire : Pour moi, ils ont un talent fou, mais il faut toujours un peu de temps pour s’imposer. Je n’ai découvert Calvin & Hobbes qu’au tome 5, et j’ai tout de suite acheté les quatre premiers, pour avoir maintenant la collection complète des 20 albums. J’espère qu’on trouvera rapidement le public, les premiers signes sont très positifs.
Liberski : À l’occasion de leur nouvelle formule, nous sommes d’ailleurs en discussion avec le quotidien La Libre Belgique pour leur fournir un strip original par jour, à côté de leur éditorial.

En même temps que l’album, différentes requêtes connexes sont donc arrivées à point nommé !

Jannin : La Biscuiterie Dandoy cherchait un dessin pour illustrer sa Saint-Nicolas [3] Étant plongé dans Froud & Stouf, je lui ai proposé les deux chiens, et elle a directement décidé de faire une "coucouque" spéciale, et sa boîte accompagnée de sa confiture de spéculoos. Bruxelles BD 2009 approchant à grand pas, c’était également l’occasion pour cette vitrine du centre-ville de se rapprocher de l’actualité. Dans le même style, nous avons ainsi eu l’occasion de nous intégrer dans le parcours BD de Bruxelles, en signant prochainement une fresque à quelques mètres de la Grand Place. En lien avec l’association Dessine-moi un soleil, qui œuvre pour les droits des enfants et que j’accompagne depuis plusieurs années, on peut déjà se procurer ce dessin en tirage signé et numéroté.
Liberski : Nous avons aussi eu l’occasion de réaliser l’étiquette du dernier millésime du vin portugais de Niepoort, le Douro. Chaque année, il sollicite un pays et un auteur lié à celui-ci.

Un gag en forme de tag ! De quoi surprendre dans les rues de Bruxelles ...

Et vos autres projets ?

Jannin : Bien entendu, le second tome de Malaise Vagal, et le cinquième de Que du Bonheur ! Et depuis peu, la sortie des intégrales de Germain et nous.
Liberski : Je viens de terminer un pamphlet sur le cinéma. Avec le soutien de la Communauté française, je prépare un film, dont le titre provisoire est Lonely Women, et je suis également en voie d’adapter au cinéma le roman d’Amélie Nothomb, Ni d’Eve, ni d’Adam.
Jannin : D’un autre côté, pour Jaadtoly, nous faisions nous-mêmes les musiques, et nous avons toujours l’envie de réaliser un album ensemble, mais c’est surtout le temps qui nous manque.
Liberski : Loin d’être schizophrène, passer du cinéma à l’écriture, voire à la musique, c’est à chaque fois se retrouver en vacances et prendre beaucoup de plaisir à ce que l’on fait.
Jannin : Comme je passe de la radio au dessin, c’est notre manière de fonctionner. Même si je trouve que Stefan est plus courageux, car il parvient à passer six mois sur un projet. De mon côté, je suis plus bondissant !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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- le premier tome de Froud & Stouf sur Internet
- la boîte de coucouques à la Biscuiterie Dandoy
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- la reproduction numérotée de la fresque au profit de l’association Dessine-moi un soleil (25 €)

Les photographies sont © CL Detournay.

[1Après avoir co-créé et participé aux Snuls, des Nuls à la Belge, les deux comiques ont animé pendant quatre ans une émission hebdomadaire sur Canal + Belgique, J’Aime Autant de T’Ouvrir Les Yeux, soit J.A.A.D.T.O.L.Y. !

[2Deux célèbres dessinateurs de presse belge.

[3Grand Saint, Patron des enfants, chéri par le Plat Pays.

 
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4 Messages :
  • en passant du huitième au neuvième art

    Le terme « 8e art » a été revendiqué par ou attribué à la photographie, la radio, la télévision, le dessin animé, la gastronomie, la prestidigitation, la haute couture, le paysagisme, l’escalade, la publicité, et le jeu vidéo (entre autres). Aucun ne s’étant imposé, on peut trouver peu clair voire casse-gueule de l’utiliser comme s’il allait de soi...

    Liberski : Nous ne sommes sûrement pas les premiers à donner les paroles à des animaux pour décortiquer les travers des humains, d’autres en font leurs succès, comme Monsieur de la Fontaine, ou Geluck.

    Faramineuse érudition ! Mais Monsieur de Liberski sait-il que La Fontaine n’a fait qu’adapter en vers français les fables d’Ésope ? (Pardonnez-moi de me recentrer sur une petite chose qui me chatouille les narines.)

    Liberski : Je viens de terminer un pamphlet sur le cinéma. Avec le soutien de la Communauté française, je prépare un film, dont le titre provisoire est Lonely Women,

    Pour la suite, peut-on suggérer un pamphlet sur une soi-disant « Communauté française » qui soutiendrait des titres comme « Lonely Women » ?

    Jannin : Et depuis peu, la sortie des intégrales de Germain et nous.

    Le temps fort de l’entretien. Les journalistes anglophones (sans doute appâtés par Lonely Women) auront toutefois cette critique, « Don’t bury the lead ! »

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    • Répondu par Sergio Salma le 28 décembre 2008 à  21:12 :

      Et Monsieur Simon sait-il qu’Esope ne faisait que recueillir et conter d’ancestrales histoires ? Il les contait sans les écrire et les recueils ne vinrent que bien plus tard. Esope à qui l’on a attribué un paquet de jolies fables en est donc devenu l’auteur. Cela se passait dans un temps que les moins de 2500 ans ne peuvent pas connaître. Jean De La Fontaine en effet a bien lu Esope (là !Boum !) mais il n’a absolument pas traduit, ça se saurait ; il a écrit dans le genre des dizaines de fables originales qui valent autant si pas plus par la joliesse de l’écriture que par la morale parfois un rien démonstratrice.

      Ils sont des dizaines d’auteurs à avoir collecté de vieilles histoires immémoriales issues de la tradition orale, les Grimm en tête. Ils ont en revanche écrit avec beauté des histoires dont la forme était approximative. Ils étaient donc écrivains comme La Fontaine le fut .

      On retrouve dans les littératures du monde entier des histoires, des fables et des fabliaux, que l’on se racontaient comme des blagues ou pour s’éduquer( c’est presque souvent le même fond), que l’on donnait en spectacle ou qui étaient déclamés en public devant un parterre d’enfants ou d’adultes, veillées d’été ou d’hiver. Pas de bandes magnétiques pour l’attester mais il s’agit là tout simplement du glissement de la préhistoire vers l’histoire.

      Le mot vint, puis la parole puis l’écrit. Que des histoires de gens qui se racontent des fictions plus vraies que leur vie de tous les jours pour contrer les peurs, les angoisses, dire les choses et aider à comprendre. Récits parfois imaginaires ou relatant des faits réels, ou bien encore un subtil mélange des deux mondes , la Bible ou Robin des Bois, les contes de Perrault ou les mille et une nuits. Le tout est une création de la société des hommes dans ce qu’elle a de plus fondamental.

      Et souvent d’ailleurs dans ces récits édifiants on met en scène un animal qui ,confronté à d’autres animaux, est assailli de sentiments et de pensées . Pour paraître plus fort ou plus intelligent qu’il n’est ,pour briller en société souvent il se commettra en paroles ou en actes regrettables. Un peu comme certains qui ,sous couvert d’érudition, assassine les propos pourtant bien tempérés d’artistes qui aiment simplement toucher à tout.

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      • Répondu par Simon le 30 décembre 2008 à  04:08 :

        Dès la Haute Antiquité Ésope est salué comme l’inventeur d’un genre nouveau, la fable. C’est ensuite que des textes apocryphes lui sont aussi attribués, précisément parce qu’il était le représentant du genre, ce qui ne remet pas en cause son apport initial. (De même que les nombreuses citations sur les femmes attribuées après coup à Sacha Guitry ne remettent pas en cause son apport initial.)

        La Fontaine a inventé des fables, mais il a surtout traduit ou adapté des dizaines de textes d’Ésope (comme La Cigale et la Fourmi ou Le Corbeau et le Renard, dont voici l’original traduit d’Ésope), de Phèdre (lui-même souvent adaptateur d’Ésope), d’Horace ou de Martial, et d’autres. Rien de mal en soi puisqu’il a généralement salué par écrit son aîné (qui faisait partie du bagage culturel de la majorité de son public de l’époque) ; mais l’on a maintenant trop tendance à éliminer toute référence à Ésope, comme si La Fontaine était sorti tout armé de la cuisse de la Fable.

        Quant aux « artistes qui aiment simplement toucher à tout », peut-être pourraient-ils réellement le faire en ne se limitant pas à un tandem franco-belge (La Fontaine et Geluck !) et en s’élargissant par exemple dans le temps avec Ésope ou le Roman de Renart, et dans l’espace avec Gary Larson ou Snoopy.

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