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Christophe Bec revient au dessin dans un somptueux album conceptuel

Par Charles-Louis Detournay le 24 février 2024                      Lien  
Huit ans que le co-auteur de "Sanctuaire", "Bunker", "Carthago", "Prométhée" et de bien d'autres séries n'avait pas dessiné de nouvel album. Parmi ses diverses activités de scénariste qui l'accaparaient, Bec a néanmoins pris cinq ans pour construire ce qui restera comme le plus beau témoignage de son univers intitulé "Inexistences". Rien d'étonnant d'ailleurs à ce qu'une exposition lui soit totalement consacrée.

En plus de trente ans de carrière, Christophe Bec a bâti un univers d’auteur à la fois solide et très spécifique. Que cela soit au dessin ou au scénario, il a sondé les tréfonds de l’âme humaine, en particulier nos peurs liées à l’indicible, qu’il s’agisse de divinités oubliées, de monstres antédiluviens ou d’incursions d’êtres venus d’autres mondes.

Cela s’est exprimé au sein de séries qui ont su attirer un large public, comme Sanctuaire, Prométhée, Carthago, Bunker et bien d’autres. Pourtant, depuis huit ans, l’auteur s’était focalisé sur le scénario, laissant décanter son dessin, lui qui était vu pourtant comme l’un des prodiges de sa génération. Pourquoi ? « Pour renouer avec le dessin que j’aime, nous expliquait-il dans une précédente interview->art15091]. Très encré et fouillé, comme on en fait plus trop, avec à la fois un classicisme formel, mais aussi une modernité narrative. Enfin, c’est l’objectif : la réalité de la table à dessin, c’est tout autre chose !... Mais je me suis laissé un grand laps de temps, sans pression, pour essayer de réaliser mon meilleur album, en retrouvant véritablement le goût du dessin. »

Christophe Bec revient au dessin dans un somptueux album conceptuel

Et donc après trois années de réflexion, Christophe Bec s’est lancé dans un impressionnant chantier graphique (et presque lyrique) qui s’intitule Inexistences. Pas facile de vous décrire le contenu de ce livre de grand format au sein duquel l’auteur s’est investi comme jamais... Tout se déroule plusieurs centaines d’années après une apocalypse, les rares rescapés vivent dans la montagne, en trouvant abri au sein de gigantesques structures de béton et d’acier, seuls héritages d’une civilisation qui ne sait même plus son nom. Si la guerre fut certainement responsable la presque extinction de l’humanité, l’instinct belliqueux des hommes ne s’est pas malheureusement pas encore éteint, certainement parce que la survie dans ses terres escarpées et gelées reste un combat de chaque instant.

Pourtant, une étincelle semble briller au cœur de ces âges sombres : un enfant bleu qui connaîtrait la raison de ces destins qui se fracassent sur les montagnes... de ces inexistences !

Visages burinés, marqué par le froid, l’altitude, les coups et les privations, ces témoins souvent muets, ne consacrent leur énergie qu’à la survie. Mais le regard désabusé qu’ils lancent pour la plupart, témoignent de leur résignation. Sauf certains que l’on va suivre au gré de différents récits. L’un d’eux s’intitule d’ailleurs Métal Hurlant, témoignant des références de l’auteur pour ce qui restera comme l’un des achèvements de sa carrière.

De grandes compositions en doubles pages retracent l’évolution de l’humanité jusqu’à son déclin

Tant par sa conception, sa réflexion narrative, son ambition graphique, la force de son propos, tout interroge et séduit. Expliquons tout d’abord que Christophe Bec a jonglé avec les formes. Certes, la majorité des 150 pages est composée de bande dessinée, mais l’on retrouve aussi des récits narratifs, pas aussi codifié que les Ogres-Dieux, mais qui prennent des atours différents en fonction de la longueur du texte, soit introductif, soit racontant un véritable histoire avec ses personnages et ses mystères. Tout témoigne de l’art de Christophe Bec, tout autant que sa lente maturation de ce livre-objet, choisissant soigneusement le rythme de lecture, provoquant des pauses pour que le lecteur puisse réellement s’imprégner de l’univers.

Du début jusqu’à la fin, l’implication graphique interpelle. Jamais Bec ne s’étant tant investi : des peintures précèdent les différents chapitres, de gigantesques dépliants de près d’un mètre immergent littéralement le lecteur dans cet univers glacé de fin des temps. Puis chaque planche et illustration est travaillée pour que les masses et les traits incarnent les visages burinés et les gigantesques constructions.

La peinture du chapitre "Métal Hurlant".

Comme les dessins, chaque mot est ciselé, soigneusement choisi pour témoigner d’une apocalypse qui se partage entre montagnes, intrigantes ruines et atmosphère oppressante d’une inéluctable fin. On sent dans ce poème graphique, une forme d’apothéose dans le travail de l’auteur, comme s’il avait gravi le propre sommet de son travail et qu’il s’était tourné pour regarder les étapes successivement franchies pour y parvenir.

Au final, le spécialiste de la frayeur et de l’apocalypse en BD livre sa quintessence personnelle dans un écrin de 150 pages. On y retrouve du Sanctuaire, du Bunker et un peu de l’esprit de Prométhée. À lire en pensant que l’auteur s’y est consacré pleinement, en se disant que ce serait certainement sa dernière bande dessinée. Et à savourer tout en sachant que cela ne sera finalement pas le cas, car il dessine actuellement un album de Thorgal Saga.

L’un des dépliants qui s’étale sur quatre pages.

Pour vous rendre compte de la taille, de la minutie et de la réussite de chaque dessin, nous ne pouvons que vous conseiller d’aller voir l’exposition de toutes les planches et illustrations présentes à la Galerie Huberty & Breyne de Bruxelles. On est sidéré par la taille des originaux, tout en autant que le soin apporté par exemple aux planches animalières, car tout vouloir vous spoiler le contenu de l’album, il est finalement bien plus sombre qu’on ne pourrait l’envisager !

Même dans la grande galerie bruxelloise, l’imposante taille des originaux impressionne
L’auteur témoigne également de ses influences, en re-créant des couvertures de Vance (avec l’accord de l’ayant-droit), en réalisant des illustrations autour de Conan et Tarzan ainsi que des patchworks de ses héroïnes et héros de jeunesse
Christophe Bec
Photo : Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782302099678

Inexistences - Par Christophe Bec assisté de Sébastien Gérard aux couleurs, Editions Soleil.

L’album est exposé jusqu’au 2 mars à la Galerie Hubert & Breyne de Bruxelles

Illustrations : © Éditions Soleil, 2023 – Bec
Photo : Charles-Louis Detournay

Soleil ✍ Christophe Bec ✏️ Christophe Bec à partir de 13 ans
 
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