À la base des éditions FLBLB, il y a un fanzine qui portait le même nom ?
Oui, en 1996, on était quatre copains étudiants à Poitiers : Thomas Dupuis (qui signe Otto T.), Rémi Lucas, Michaël Phelippeau et moi-même. Dans ce fanzine, on publiait des romans-photos, des bandes dessinées, des textes illustrés, dans un esprit assez potache.
Le fanzine a d’abord été photocopié, puis imprimé et diffusé par nous-mêmes. Tout cela a grossi, on a fondé une association, recruté un emploi jeune qui s’occupait du site internet, de la communication, de la diffusion.
En 2002, Thomas et moi-même avons créé les Éditions FLBLB à proprement parler, qui nous salarient toujours aujourd’hui. Avec les deux autres, on forme depuis le début un comité de lecture de 4 personnes, qui est garant de l’esprit de la maison grâce à ces regards variés mais convergents.
Quelle est votre ligne éditoriale ?
Elle est dans la continuité de ce qu’on publiait dans le fanzine, donc pas seulement de la bande dessinée de fiction, mais aussi des livres plus documentaires, des récits de voyage, de l’autobiographie, des manuels d’histoire illustrés, des flip-books, des romans-photos…
Tout cela globalement avec une touche humoristique, politiquement incorrecte. Il y aussi un aspect narratif très important.
La série Petite histoire des colonies françaises, qui est un succès, a imposé dans notre ligne éditoriale un regard politique, engagé, satyrique, même si les autres ouvrages que nous publions ne sont pas forcément de la même veine.
Nous construisons cette ligne éditoriale en fonction des livres qu’on a déjà faits. Un nouveau livre se publie aussi parce qu’il peut entrer en résonance avec les livres déjà publiés.
Vous publiez des premiers livres d’auteurs. L’aspect humain, relationnel, est-il très important ?
On ne publie jamais tels quels les projets reçus par la poste. Si un projet nous intéresse, on va rencontrer la personne et si le courant passe, si on sent qu’on va pouvoir travailler ensemble, on va essayer de le publier. On discute beaucoup des livres avec les auteurs.
Il faut qu’il y ait une relation de confiance pour qu’on puisse échanger. On n’hésite pas à faire des retours sur le livre par le biais de notre comité de lecture. Certains auteurs sont hérissés par nos fiches de lecture, et par le fait qu’on demande parfois de beaucoup retravailler. Mais c’est notre manière à nous de parvenir à faire de bons livres.
En tant qu’auteur, avez-vous publié chez d’autres éditeurs ?
En 2002, j’ai fait mon premier livre aux éditions Ego comme X. On avait déjà créé FLBLB à l’époque, mais je n’avais pas confiance en moi en tant qu’auteur. Ce livre me donnait une légitimité d’auteur que je n’arrivais pas à trouver moi-même ou dans le regard de mes collègues.
Je suis très content de ce livre, je m’entends très bien avec l’éditeur qui l’a publié. Mais j’ai maintenant envie de faire mes livres chez FLBLB.
Est-ce qu’il y a un conflit entre la position d’auteur et celle d’éditeur ?
Pendant cinq ou six ans, ça n’a pas été facile. Thomas et moi publiions les livres des autres sans avoir le temps de faire les nôtres. Puis la situation s’est débloquée et on parvient désormais à bien gérer les deux.
Vous avez un diffuseur. Vous faites aussi des festivals, ou encore vendez directement sur votre site ?
Depuis 2007, on est diffusés par Harmonia Mundi, un diffuseur généraliste, ce qui correspond bien à notre catalogue.
On fait assez peu de festivals, Angoulême, Saint Malo, Colomiers, quelques autres à l’occasion. On vend aussi un peu sur internet.
A côté de l’édition, vous animez aussi des ateliers et vous faites du graphisme ?
On fait des affiches et des programmes pour des festivals, également des interventions autour de nos livres, et des ateliers en milieu scolaire qui parfois donnent lieu à quelques livres jeunesse. 80% de notre chiffre d’affaires, ce sont nos livres, et le reste, ces activités.
Ce travail de graphisme est d’autant plus intéressant qu’il nous importe aussi d’être un éditeur local inscrit dans le tissu économique de notre ville, même si notre activité d’édition est nationale.
Quels sont les avantages d’une structure indépendante ?
Le contrôle complet de l’outil de production. On fait les livres qu’on a envie de faire en étant présents à chaque étape. Nos livres reflètent vraiment notre personnalité, et on les fait en toute liberté.
Et les inconvénients ?
Le plus difficile, c’est d’exister médiatiquement. C’est un travail de communication pour lequel la plupart des éditeurs comme nous ne sont pas formés. Il faut aussi de l’argent pour la communication : soit embaucher quelqu’un, soit travailler avec des attachés de presse… ou décrocher son téléphone et le faire soi-même. Mais souvent ce n’est pas l’activité qu’on privilégie.
Le gros inconvénient, c’est donc que parfois des livres sortent et subissent un échec parce que la communication a été mauvaise.
Par ailleurs, c’est difficile de faire vivre son entreprise. On se soucie en permanence de notre trésorerie, de payer nos salaires, nos auteurs, nos fournisseurs. Parfois, on est dans le rouge et on dort mal la nuit...
Aujourd’hui, on parle de crise, de surproduction. Depuis 2002, voyez-vous un changement ?
Nous, en tout cas, on ne surproduit pas ! On fait une dizaine de livres par an, rééditions comprises. Le changement, c’est le marché qui l’impose. Dès qu’il y a une niche, les éditeurs industriels vont s’y mettre.
Hier, c’était l’autobiographie en noir et blanc proposée par Ego Comme X ou l’Association, aujourd’hui ce sont les reportages en bande dessinée, demain je parie que ce sera le roman-photo !
Ces éditeurs cherchent de nouveaux débouchés commerciaux ?
Je crois que les éditeurs industriels cherchent d’abord à occuper l’espace tout en soignant leur image. Ils ne le font pas tellement pour le business parce qu’à leur échelle ils gagnent rarement beaucoup d’argent avec des livres d’auteur. Nous, on peut en vivre parce que la structure est petite, nous ne sommes que trois salariés, dix livres par an nous suffisent.
Dans l’édition industrielle, il y a des directeurs éditoriaux qui essaient de faire du bon travail, mais au lieu de gérer 10 livres par an, ils doivent en gérer bien plus, alors dans le lot il y a tout un tas de bouses qui n’auraient jamais dû voir le jour (si la logique était celle de la qualité). La pression financière est très différente entre eux et nous.
À FLBLB, on ne sort pas n’importe quoi, les livres qu’on fait imprimer sont de bons livres, sinon on ne ferait pas ce métier.
En 2002, vous avez créé la maison d’édition, mais aussi une librairie, Le Feu Rouge. Pourquoi cela ?
On trouvait que l’édition indépendante n’était pas très bien représentée en librairie à Poitiers. Habituellement, la rotation est forte en librairie et on voulait une rotation moins forte, qu’on puisse montrer des livres sortis dans les dix dernières années, indépendamment de leur date de parution.
Et puis on avait envie de voir ces ouvrages rassemblés en un seul lieu. Le projet de la librairie était de ne montrer que de bons livres, en bande dessinée au départ, puis on a élargi à l’édition indépendante en général.
Vous aviez d’autres activités en plus de la librairie ?
On faisait énormément d’animations. On invitait des auteurs pour des rencontres (notamment Frederik Peeters, Emmanuel Guibert, Alex Barbier, Jean Teulé...)
On faisait des expositions, en partenariat avec des étudiants des Beaux-arts de Poitiers. L’aventure de cette librairie a duré quasiment dix ans, jusqu’en 2011.
Pourquoi avoir arrêté ?
On a décidé d’arrêter suite à des difficultés financières et aussi parce qu’on s’est essoufflés. On avait d’autres choses à faire. Si on avait été seulement libraires, on se serait sans doute battus davantage. Là, on a choisi d’arrêter et de nous consacrer à notre travail d’éditeur et d’auteur.
Parlons un peu de votre travail d’auteur, en particulier de la série Petite histoire des colonies françaises.
Petite histoire des colonies françaises est une sorte de manuel d’Histoire coloniale en bande dessinée. Enfin, un manuel anticolonialiste et plein d’ironie.
La forme est un peu différente d’une bande dessinée classique : j’écris un texte, qui est présenté en haut de la page, et Otto T., le dessinateur, scénarise et illustre seul la petite bande dessinée qui accompagne le texte. Un peu à la manière dont un dessinateur de presse réagit à l’actualité.
C’est la rencontre de deux auteurs dans un même livre, deux voix différentes qui se rejoignent, s’entremêlent, se complètent, discutent ensemble. Dans cette série, on utilise peu le langage classique de la bande dessinée avec des personnages, des situations, etc. C’est beaucoup plus proche du cinéma muet, il y du burlesque, de gags visuels.
J’imagine que sur ces livres, vous avez des retours d’enseignants, de bibliothécaires ?
Depuis le début, on a eu des retours de lecteurs profs d’histoire ou profs de français qui nous disent qu’ils l’utilisent en classe à des fins pédagogique. Cette année, officiellement, elle sera même citée dans les manuels scolaires des éditions Magnard. C’est un peu étonnant puisqu’on parle d’une histoire coloniale souvent occultée des manuels, ou pas creusée, plutôt mise sur la touche.
La manière de raconter est marrante, mais très documenté, il y a une bibliographie en fin d’ouvrage et les enseignants se servent de ces sources.
Je ne suis pas historien de formation, et j’aborde le sujet avec un regard de lecteur curieux, une fraîcheur qui en facilite l’accès.
Pour faire de l’humour avec la torture en Algérie, par exemple, je suis obligé d’être très sérieux dans ma documentation, de ne pas dire de bêtises, sinon ça perd de sa force.
Quels sont les projets et les évolutions de FLBLB ?
On a publié pas mal de gens de notre génération, ainsi que des rééditions d’auteurs plus anciens (Gébé, Tezuka).
Il y a aujourd’hui un basculement qui se fait avec la rencontre d’auteurs plus jeunes : Robin Cousin, dont on sort une surprenante bande dessinée scientifique (Le Chercheur Fantôme) en mai 2013, Ype Driessen, un auteur des Pays-Bas qui raconte sa vie de couple homosexuel en roman-photo (Yves et Guillaume) en juin, ou bien Lisa Lugrin et Clément Xavier, qui préparent un livre sur la lutte sénégalaise (Yékini, roi des arènes) à paraître en septembre.
Ça nous fait évidemment très plaisir, ces jeunes auteurs qui nous font confiance, qui se reconnaissent dans le catalogue de FLBLB et qui ont envie de travailler avec nous.
Personnellement, ça me permet d’évoluer en tant qu’éditeur, aujourd’hui je suis très attaché au fait de faire émerger des premiers livres.
Vous avez réédité Gébé, et je vois bien la filiation avec Hara-Kiri, un certain esprit, mais comment en arriver à publier Tezuka ?
C’est lié à nos goûts, Thomas et moi. On est à cheval entre le côté mordant, satirique et un goût prononcé pour la narration. Or Tezuka est un grand maître de la narration. C’est un auteur qui nous a marqué dès notre enfance.
Un jour en discutant, on a évoqué deux dessins animés qui nous avaient beaucoup émus et en faisant des recherches, on s’est aperçus qu’ils étaient de Tezuka (Nucléa 3000 et Bandar Book/le prince du soleil). Plus tard, on a découvert ses livres.
C’est un génie de la bande dessinée, il n’y a pas d’équivalent en France. On le compare souvent à Hergé mais son œuvre est bien plus vaste et plus riche.
Comment s’est concrétisée cette envie d’éditer Tezuka ?
On a rencontré l’agence qui gère ses droits à la Japan Expo. On a épluché le catalogue de la Tezuka production et on a trouvé des livres avec un dessin assez différent de ce que Tezuka faisait habituellement : un dessin jeté, plus proche du dessin d’humour, qu’on trouve meilleur que son dessin traditionnel.
On avait rencontré auparavant des traducteurs, Rodolphe Massé et Jacques Lalloz, qui avaient traduit Tezuka pour d’autres éditeurs, et ça nous a aussi poussés.
Vous avez édité trois livres assez étonnants de Tezuka. Vous pouvez les présenter ?
Debout l’Humanité montre un pauvre type pris dans la grande Histoire, pendant un ersatz de guerre du Vietnam. Ses spermatozoïdes ont deux queues, et il engendre un autre genre humain, ni homme, ni femme, un genre neutre. Ce genre va être exploité comme objet sexuel ou chair à canon par des capitalistes sans scrupules jusqu’à ce qu’ils se révoltent. C’est farfelu et politique. Il y a une critique très forte des médias, de la guerre, de la société de consommation.
Alabaster est plus feuilletonnesque, avec un dessin plus classique, mais un récit assez barré aussi. C’est un manga sur le racisme, l’histoire d’un athlète noir emprisonné pour meurtre. Il rencontre un savant qui peut rendre la peau invisible. Mais en fait, si la peau est bien invisible, ce n’est pas le cas des organes et des veines. Cet athlète devient une sorte de monstre et par vengeance, il veut enlaidir l’humanité.
L’Homme qui aimait les fesses est un recueil d’une vingtaine d’histoires qui prennent pour cible les fantasmes et les frustrations du japonais moyen. Les personnages sont de simples employés de bureau.
Ces mangas sont des œuvres spéciales chez Tezuka, mais pas mineures. L’humour deTezuka est plutôt convenu d’habitude, mais là on se marre vraiment, c’est subtil, original.
Les amateurs de Tezuka ont été étonnés de les découvrir. On prépare d’ailleurs un quatrième livre dans la même veine.
(par Yohan Radomski)
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