Les récits oscillent entre autobiographie et fantasmes, mais ont pour point commun de dépeindre une vision désenchantée du rôle auquel sont réduites les femmes dans leurs relations sentimentales avec les hommes : tantôt ramenées à l’état d’objet sexuel, tantôt réduites à se créer un univers imaginaire pour fuir leur quotidien malsain en s’amourachant d’hommes infréquentables, ces femmes apportent des témoignages du point de vue des dominées.
Cette violence patriarcale est contrebalancée par un humour caustique, qui semble parfois n’être le seul refuge pour remettre en question ces rapports de domination. L’album s’achève par deux courts récits plus personnels dans lesquels Nina Bunjevac se confie davantage sur son histoire familiale, et où l’on prend connaissance de la manière dont l’auteure a dû se construire, notamment avec des relations avec son père faites d’attirance et surtout de répulsion.
L’album dégage une forte puissance graphique : la couverture en noir et blanc est déjà très séduisante. Le noir domine les pages intérieures, parfois en rivalité avec un blanc éclatant. Nina Bunjevac alterne entre l’utilisation de dessins uniques sur une page et des figures de formes diverses dans lesquelles les personnages, dont on ne saurait dire s’ils sont laids ou beaux, se laissent aller à leur pessimisme et à leurs états d’âme.
On achève la lecture de chaque récit avec le sentiment que la fin ne peut survenir à cet instant, tant les personnages ne parviennent pas à se dépatouiller de l’univers glauque dans lesquels ils sont enfermés. Mais, loin de nous entraîner vers des sentiments lugubres, la vivacité des dialogues et les répliques acérées permettent de découvrir la dureté d’un monde fait de prostitution et de violence en lui apportant une indéniable touche poétique et mélancolique.
(par Damien Boone)
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