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Homoblicus - Sergio Ponchione - Coconino Press/Vertige Graphic

Par François Peneaud le 22 décembre 2006                      Lien  
Il est de ces idées qui, une fois logées dans votre esprit, ne vous lâchent plus. Sergio Ponchione nous fait partager son obsession de l'oblique, dans une systématique aussi pseudo-érudite que divertissante, où grand art et culture populaire font bon ménage.

L’auteur nous raconte que tout a commencé par un petit dessin griffonné il y a dix ans. Tel un cauchemar éveillé, le visage grimaçant de l’Homoblicus, une fois représenté, ne pouvait plus être gommé.
L’album grand format, 96 pages noir et blanc (surtout noir, d’ailleurs), qu’a aujourd’hui réalisé Sergio Ponchione, en est le résultat : nous découvrons le maître des phénomènes obliques qui occupent notre réalité depuis longtemps, le bien nommé Homoblicus. Celui-ci occupe un royaume au-delà de la réalité, d’où il intervient parfois (enfin, souvent) dans les affaires humaines. Un vieux savant à la barbe blanche, le Pr. Hackensack [1], l’étudie depuis longtemps et a réussi à le rencontrer.
Approchez, braves gens ! Le rideau (rouge, bien sûr) va bientôt s’entrouvrir, pour révéler ce qui dresse sous la surface, penché de côté, toujours de côté !

Homoblicus - Sergio Ponchione - Coconino Press/Vertige Graphic

La couverture de l’ouvrage donne le ton : l’Homoblicus se tient debout, les bras le long du corps, les mains écartées, tel le somnambule du Cabinet du Dr. Caligari. Car l’expressionnisme allemand n’est que la plus visuelle des références du personnage aussi incliné qu’une tour de Pise humaine. Il faut bien reconnaître que dans l’art, il n’y a guère plus oblique que ce mouvement artistique. Son utilisation d’ombres et d’architecture déformées semble être le pendant hautement émotionnel du froid cubisme, que ne semble d’ailleurs pas revendiquer l’Homoblicus. Et pourtant, il en revendique, des influences sur l’humanité.

L'ombre du vampire s'étend sur le monde

Ce catalogue irraisonné de courts récits, fourre-tout non-narratif aux ambitions encyclopédiques, nous en donne un aperçu. Sans vouloir reproduire le recensement effectué par l’auteur [2], citons The Residents et Harry Partch [3], Max Schreck, l’interprète du Nosferatu de Murnau (qui, d’après Ponchione, doit son rôle à l’Homoblicus), et, surtout, Alfred Jarry, le créateur de Ubu Roi et père de la Pataphysique. Car cette science de l’absurde est le deuxième grand courant qui alimente le fleuve profond de l’omniprésent oblique. Telle une muse bien biaisée, l’Homoblicus visite souvent l’écrivain, et sa puissance d’attirance (la gravité est-elle oblique ?) se fait sentir.

Et puis, le colérique oblique habite une bien belle maison aussi tordue que lui, que Ponchione s’empresse d’intégrer dans son évangile du non-droit - du non-A, pourrait-on avoir envie de dire, tant l’architecture de la masure semble non-euclidienne et sa logique non-aristotélicienne. Des maisons curieuses, la fiction et l’art en regorgent, et Sergio Ponchione regarde des deux côté de l’Atlantique, avec des films comme La Maison aux fenêtres qui rient ou Psychose, ou le manoir de la famille Addams. On pourrait ajouter Gormenghast, le chateau-univers de Mervyn Peake, ou les House of Mystery/House of Secrets des comics de DC, anthologies d’horreur où les histoires étaient présentées par Abel et Cain, possesseurs de maisons mystérieuses - un « hommage » aux Tales from the Crypt de EC Comics. Cette dernière idée semblerait d’autant moins absurde qu’une des histoires fait explicitement référence à EC, avec un extrait de faux comic débutant par une couverture annonçant un Weird Tales From Beyond, au dessin rendant hommage à des artistes comme Wally Wood, un des maîtres de l’équilibre ombre/lumière dans les années 50.

Sergio Ponchione référence en effet autant son dessin et son découpage, et les varie tout deux grandement. Des personnages à gros nez côtoient un réalisme plus mainstream américain, des pleines pages alternent avec des planches surdécoupées ou des narrations à l’intérieur de formes de disque, de lanterne chinoise ou de cafetière, et bien sûr, les perspectives sont souvent penchées, tout comme les cases. À la vue d’une planche au titre inséré dans le dessin, on peut aussi penser que l’auteur n’ignore pas non plus le travail de Will Eisner sur le Spirit.

Il faut enfin dire que l’humour est très présent, dans le ton et dans les situations. L’auteur s’est par exemple amusé à inventer de nombreux noms de créatures, comme le papiléphant porcin ou l’ovoberceauchemar, créant un bestiaire fantastique qui lui donne l’occasion de nous présenter sa propre version d’un cabinet de curiosité.

L’Homoblicus est un de ces albums que le lecteur prendra plaisir à relire ou à feuilleter de temps en temps, pour se replonger dans la douce folie qui a amené à cette entreprise digne d’une collaboration entre d’Alembert et Munch. Sergio Ponchione est-il maintenant débarrassé de son obsession ? Seul le temps, et le grand maître de l’oblique, pourront le dire.

(par François Peneaud)

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[1"Hack" signifie "écrivaillon, plumitif" en anglais. Aurions-nous affaire à un écrivaillon en sac ? Vu le nombre de mots-valises inventés par l’auteur, on peut douter que le nom ait été choisi au hasard.

[2Car, bon, n’allons pas jusqu’à nous demander qui recense les recenseurs.

[3Musicien du siècle dernier qui inventa sa propre gamme et ses propres instruments.

 
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