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Jacques Martin, par-delà le Styx

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 novembre 2015                      Lien  
Quatre séries parallèles tirées de l'univers de Jacques Martin continuent d'alimenter les librairies en cette fin d'année : deux Alix, un Lefranc et un Jhen. "Les grands héros sont éternels" suppute-t-on chez Casterman. "Hélas" pense le nostalgique en levant les yeux au ciel. Pourtant, ces dernières nouveautés ne sont pas si mal... Jacques Martin perpétue son œuvre, par-delà le Styx

Jacques Martin, par-delà le StyxLe Styx, on le sait, c’est le fleuve qui, dans la mythologie grecque, sépare les enfers de la vie terrestre. Il prête son nom au dernier album d’Alix, Par-delà le Styx (Ed. Casterman) signé Marc Jailloux au dessin et Mathieu Bréda au scénario. Le fleuve infernal a été traversé voici longtemps par un héros mort au combat, Heraklios, le père d’Heraklion, le jeune Spartiate rencontré par Alix et qui est devenu son protégé.

Le jeune homme est bien perturbé, il est « bipolaire » diagnostiqueraient les médecins de nos jours : privé du modèle paternel, il a reporté son affection sur le compagnon d’arme de son père, le général Astianax. Mais celui-ci est en Afrique, à Cirta en Numidie, au service du roi Juba 1er, allié de Pompée contre César. Pompée a été assassiné en Égypte mais ses fidèles Caton et Scipion tiennent encore son armée. Tout cela mène à la Bataille de Thapsus et les lecteurs d’Astérix Légionnaire savent qu’elle tourna en faveur du grand Jules.

Mathieu Bréda nous ficelle un scénario crédible, aux dialogues plutôt bien écrits, en dépit du prétexte un peu artificiel qui mène notre citoyen gallo-romain et ses amis jusqu’en Afrique du Nord. Le dessin de Marc Jailloux s’améliore. Malgré quelques maladresses encore, il a presque atteint la perfection martinienne. Pas l’ombre d’une trahison dans cet album solidement appuyé sur une documentation qui essaie tant bien que mal d’apporter une cohérence historique dans une série qui a parfois malmené la chronologie. Bref, les amateurs d’Alix ont beau soupirer en se disant que "c’était mieux avant", avec ce duo, il semblerait que ce soit de moins en moins sûr.

La série Lefranc, avec son nouveau titre, Mission Antarctique, peut recevoir le même satifecit. Il faut dire qu’il est assuré par un scénariste aguerri, François Corteggiani, qui a bien du mérite à donner de la cohérence aux différentes orientations de ce "Blake et Mortimer-like" qu’est la série Lefranc.

Ancrée dans son actualité, l’après-guerre et la Guerre froide, elle partait, il faut bien le dire, dans tous les sens. Corteggiani en fait une uchronie où il n’hésite pas à raccrocher l’imagerie fantastique des années 1950 : des nazis cachés aux antipodes et des soucoupes volantes.

Une approche apparemment incongrue, mais qui tient son plan de vol, d’autant mieux que le dessinateur Christophe Alvès dont c’est le premier Lefranc, arrive à bien se glisser dans le dessin parfois raide du dessinateur d’Alix.

Et si, finalement, ces séries qui se prolongent indéfiniment finissaient par convaincre les plus réticents ? La face de la BD franco-belge s’en trouverait changée !

Pour la série Jhen, nous avons toujours eu un jugement sévère, le dessin de Pleyers nous semblant au départ maniéré, sinon foutraque. Le dessin de Paul Teng s’écarte du canon martinien et on a presque envie de dire :« tant mieux ». Même s’il manque parfois de clarté, il est solide et rend très bien les paysages de neige qui peuplent tout l’album.

L’autre base solide, c’est le scénario dont on voit qu’il est particulièrement documenté, et même passionnant car il évoque une région (la Serbie) et une période historique peu connue des lecteurs. Cela donne un album bien construit, convaincant, qui ne déshonore pas l’esprit de Jacques Martin. Que demander de plus ?

On attend avec impatience le nouveau Alix Senator, la série qui imagine le héros de Martin dans la cinquantaine. Il est prévu pour le 21 novembre. Nous y reviendrons. Disparu voici cinq ans, l’inventeur du concept de « L’École de Bruxelles » a fait en sorte de continuer à nous faire vivre les aventures de ses personnages, au-delà du Styx, évitant soigneusement de remonter vers le Léthé, le ruisseau de l’oubli.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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19 Messages :
  • Jacques Martin, par-delà le Styx
    9 novembre 2015 14:38, par E. Panorthotès

    Cher M. Pasamonik,
    Tout le monde ne le sait manifestement pas, ou du moins a pu l’oublier, mais il n’y a certainement pas de feu dans les "enfers" de la mythologie grecque...

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 novembre 2015 à  15:09 :

      Merci pour cette précision. C’est corrigé.

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  • Jacques Martin, par-delà le Styx
    9 novembre 2015 16:18

    Alix, Jhen, Lefranc, Les schtroumpfs, Astérix, Corto Maltese, Bob Morane, Blake et Mortimer, assez, assez, ASSEZ !

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    • Répondu le 9 novembre 2015 à  17:23 :

      Vous n’êtes pas obligé d’acheter. Il y a suffisamment de nouveautés nouvelles pour assouvir votre soif d’inconnu.

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    • Répondu le 10 novembre 2015 à  10:39 :

      Mon pauvre : on vous oblige à les acheter et à les lire, c’est ça ?

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    • Répondu par Jack the rapper ! le 11 novembre 2015 à  16:33 :

      Hey man !

      D’accord, cela n’a pas l’air d’être ton genre de dope, c’est ton droit ! Maintenant, où est le problème s’il y a des auteurs pour travailler sur ces reprises, des éditeurs pour les éditer, des libraires pour les vendre et des lecteurs pour les lire ????

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  • Jacques Martin, par-delà le Styx
    9 novembre 2015 17:05, par Jacques

    "Et si, finalement, ces séries qui se prolongent indéfiniment finissaient par convaincre les plus réticents ? La face de la BD franco-belge s’en trouverait changée !"
    Et si, au contraire, un petit village belgo-gaulois continuait de résister à cette facilité marketing et continuait de préférer la vraie création à tous ces "à la manière de", si bien faits soient-ils et si époustouflantes soient les ventes ?

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 novembre 2015 à  17:34 :

      Et si ces séries commerciales nourrissaient de façon régulière un secteur, des auteurs, des libraires de façon à ce que ces derniers puissent consacrer du temps et du budget aux BD qu’ils aiment, à recruter de nouveaux lecteurs auprès des ingénus qui poussent la porte pour le nouvel Astérix ou le nouveau Blake et Mortimer ? Tout ne repose pas seulement sur une seule patte. C’est le dynamisme de tous qui donne de l’énergie à un secteur. Vous imaginez Angoulême rien qu’avec la bulle des éditeurs alternatifs ? Ça n’irait pas très loin. Je trouve plutôt bien qu’on assure la tambouille avec des classiques et que l’on explore par ailleurs.

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      • Répondu par jacques Langlois le 9 novembre 2015 à  20:25 :

        Pour le nouvel Astérix, pas de porte à pousser : en pile en kiosque à côté des hebdos, près des caisses à la FNAC ou en hyper : peu de chances que tes ingénus perdent leur temps aux rayons BD...ils repartent aussitôt avec un seul album sous le bras !

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      • Répondu le 9 novembre 2015 à  22:39 :

        D’autant que derrière les apparences, il y a parfois plus d’audace de mise en scène, d’incarnation narrative, de prises de risques dans "les reprises" que dans certaines bd estampillées alternatives...Le dernier Corto en est un sacré exemple.

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        • Répondu le 10 novembre 2015 à  05:39 :

          Le dernier Alix également.

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        • Répondu par simon brauman le 10 novembre 2015 à  06:38 :

          Imaginez un peu qu’au cinéma, bien après la mort de Charlie Chaplin, des générations de sots aient continué à produire chaque année un charlot et habitué le public à cette rassurante nostalgie mercantile...Et bien en bande dessinée c’est ce qui se passe.

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          • Répondu le 10 novembre 2015 à  10:38 :

            C’est bien vrai ça ! Mieux : imaginez que des générations de sots aient continué à produire régulièrement au cinéma des "James Bond"... Qui cela intéresserait-il, franchement ? Je vous le demande !

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          • Répondu le 10 novembre 2015 à  10:51 :

            Cher Simon, il y a 5500 nouveautés annuelles . Il y a environ, 20 ou 30 bandes dessinées qui sont des reprises ou des reboots . Elles occupent le champ médiatique , forcément, célébrité, notoriété et chiffres. Vous avez, si vous le voulez , un énorme choix et si aujourd’hui il se publie beaucoup de titres qui jouent avec le désir d’un public ancien et acquis, il n’y a jamais eu dans le même temps autant de nouveautés "originales" . Les deux cohabitent .

            On peut comprendre votre agacement mais il vous faut affiner votre thèse. Au cinéma aussi il y a des énièmes versions de James Bond, un film sur deux est une suite et le public en redemande. Vous avez une vision noire même lorsqu’il s’agit d’albums qualitatifs. Vous devriez aussi penser à ce phénomène relativement récent( même si c’est un leurre, les reprises font partie des gènes de la bande dessinée) ; le monde entier pratique cet exercice. Il n’y a qu’en France et en Belgique que ce qui est en réalité un marché une industrie aussi est ainsi décrié et du coup on utilise le mot mercantile pour désigner la chose.

            Votre comparaison à Chaplin est intéressante ; allons plus loin. S’il n’y a pas de cinéastes qui ont continué à animer Charlot, il y a bien tout un pan du cinéma qui est du cinéma de genre. Il y a les westerns, la fantasy, le polar, le quotidien, les comédies. A l’intérieur de ces relativement peu nombreux créneaux, des artistes œuvrent. Pouvez-vous affirmer que le cinéaste aujourd’hui qui fait un polar "dans la tradition" n’a pas ses modèles bien en tête ? Ce sont parfois les mêmes acteurs, les mêmes décors, la même tension, la même humeur. Il y a bien une volonté farouche du public de retourner voir ce qu’il apprécie. Quels films êtes-vous allé voir dernièrement Quelles séries télé vous passionnent, quels romans ? Est-ce qu’il s’agit toujours d’OVNI’s , de travaux sans filiation aucune ? Eh bien dites-vous ça, en bande dessinée, plutôt que de créer une série ou un récit complètement détachés de tout album référence, les auteurs se plient aux exigences d’un univers déjà établi. Il y a donc de quoi faire. C’est parfois maladroit, gauche, horrible, inutile voire un peu ridicule mais pas plus que pour n’importe quel album. Il y a aussi de belles réussites, des coups de maître, des essais réussis et transformés. De plus, comme souligné plus haut, ces albums permettent des rentrées d’argent( non ce n’est pas sale) et de fait autorisent donc le "financement" de jeunes auteurs de nouveautés plus "risquées", moins évidentes .

            Pour vous convaincre , un dernier argument/ La série est une servitude, peut devenir un poids pour l’auteur ou les auteurs originel(s). Vous ne vous offusquez que mollement comme beaucoup de cette servitude ; les auteurs sont des fournisseurs, ils produisent de l’aventure, du gag, de l’historique, c’est leur job Vous n’y voyez aucune contrainte alors qu’il y en a une et de taille. Ça vous choque dès lors qu’il y a une manœuvre éditoriale selon vous puisque ce n’est plus l’auteur de départ. La belle affaire. C’est pourtant exactement le même processus. Il suffit de prendre les 20 ou 30 best-sellers 2014( bientôt le bilan 2015) pour voir que ce sont les séries qui sont plébiscitées.

            Mon gamin qui aime tel univers s’en fout bien de savoir que Machin n’a pas créé le perso. Il goûte à son plaisir. Il consomme. Le mot est terrifiant n’est-ce pas ? Puis pour vous consoler ,dans cette même liste de best-sellers, ils y sont les livres qui ne sont pas frontalement des séries avec personnages et univers déclinés. Le succès de ces 30 best-sellers est à l’image de la production, vraiment mais alors vraiment riche.

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            • Répondu par Sergio Salma le 10 novembre 2015 à  18:03 :

              Je déteste l’anonymat et voilà que moi -même je publie sans indiquer mon nom ! Donc ce long plaidoyer est de mon fait. Je croyais qu’ayant déjà publié sur ActuaBD , le mini-questionnaire était rempli d’office .

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              • Répondu par cordebois le 11 novembre 2015 à  19:07 :

                Et, pour mettre une cerise tout en haut du gâteau de M. Salma : une petite pensée émue pour André Franquin, horrible dessineux mercantile s’il en est, qui osa commettre quelques albums de Spirou derrière Jijé, lui-même mercenaire de l’édition puisqu’il passa son temps à reprendre (Spirou, Tanguy et Laverdure, Barbe Rouge...) ! Les infâmes !!

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  • Jacques Martin, par-delà le Styx
    10 novembre 2015 15:17, par Patrick

    Content de la bonne critique de /Par delà le Styx/. J’espère toutefois que cela ne donne pas trop dans la psychologie de l’enfant bipolaire. Je n’ai jamais aimé Martin quand il passait au psychologique (accès de folie tirés par les cheveux) ou au paranormal (annoncé par force couleurs vertes).

    Le peuple demande de l’action, de la grande histoire, une menace importante, des méchants bien organisés, pas d’intimisme, pas de petites historiettes, ni d’apitoiements nombrilistes.
    _
    _
    P.S. C’est « par delà » (sans trait d’union). Mais l’au-delà. Eh, oui !

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    • Répondu par cordebois le 11 novembre 2015 à  19:14 :

      Je ne voudrais pas me mettre à pinailler à mon tour, mais il me semble bien que les deux orthographes sont admises... Pour "au delà" comme pour "par-delà"... (Du moins pour les locutions adverbiales, car il y a une nécessité de mettre un trait d’union pour le nom commun "l’eau-delà".)

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  • Jacques Martin, par-delà le Styx
    11 novembre 2015 21:23, par RedFred

    Je viens de passer un long moment avec ce nouveau recueil des aventures d’Alix, ce Tintin antique, et ma foi, j’ai bien apprécié.
    Les grands codes du genre martinien sont vraiment respectés, conservés, exposés, et je trouve cela bien.
    Pour l’histoire et la construction du récit, ces critères sont très efficaces : les rappels historiques, les personnages ambigus, la trahison qui rode, les situations cornéliennes, la force du destin, bref le classicisme, tout cela fait le sel et la caractéristique du genre.
    Et le dessin de Marc Jailloux est épatant : il réalise la parfaite reprise que tout le monde salue depuis la Dernière Conquête, en réexprimant les valeurs graphiques de la légende.
    Alors certes, tout au long de ce nouveau parcours d’Alix, il y a encore et toujours ce coté boy-scout voire même éducateur internationaliste : Alix le Gallo-Romain a moins de 20ans (17 / 18 ans selon les exégètes martinophiles), et il prend en charge non seulement le brave Enak Prince d’Egypte (15 / 16 ans ?), mais encore plus petit que lui Heraklion (12 / 13 ans ?) , enfant grec rejeton du dernier spartiate.
    La préoccupation qui l’anime tout au long de l’histoire est de veiller sur le sort troublé de ce jeune garçon, et pour cela il défie non seulement Marc-Antoine, mais aussi les derniers Pompéiens en guerre contre César, ainsi que leur allié le fourbe Roi de Juba. Cette tache de prescripteur rencontre bien des obstacles, mais à cœur vaillant rien d’impossible.
    Cependant, il faut bien considérer que le cahier des charges, accepté par tous depuis presque 70 ans sur ce personnage d’Alix, demeure valide : ses aventures doivent rester dans une compréhension « jeunesse » , même si les lecteurs d’aujourd’hui sont probablement un peu plus « expérimentés » que leur lectorat-cible. On n’est pas dans Murena , ou les Aigles de Rome.
    Le héros est jeune, volontaire, impétueux, plein d’idéal et doit rester un modèle de projection. Ses choix, ses alliances, ses erreurs mais de bonne foi, font partie de la construction du récit. Les réflexions sur le cours des choses sont explicitement formulées, les conclusions sont énoncées. La morale ou la leçon d’éducation civique ne sont jamais loin.
    De plus on entrevoit ici un thème philosophique qui implique tout autant le héros principal que son sujet : la quête du père, de la transmission. Inutile de dire qu’Alix l’orphelin Gaulois, né en Orient, et engagé avec les Romains, se sent un peu concerné.
    Le thème du Styx est assez bien choisi avec son univers mythologique grec : le jeune Heraklion, objet de la sollicitude d’Alix, cherche et va trouver dans l’au-delà la figure paternelle manquante, qu’il arrive au final à représenter inconsciemment.
    De plus, comme toute cette recherche est formellement ponctuée de retours réguliers aux périodes Dernier Spartiate , Dieu Sauvage, qui sont des périodes dorées de la geste martinienne, je dois dire que cette réalisation est de la belle ouvrage tant sur la forme que sur le fond.
    Chapeau donc à l’équipe qui a proposé ce nouvel artefact : la statue antique tient vraiment bien debout.
    Et même si certains disent que c’est une copie, elle a toute l’expression du vrai.
    Comme un terroir qui continue à produire un grand cru, même quand le maitre du domaine a trépassé.

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