Est-ce le signe de l’échec d’une certaine histoire qui avait tenté, ces dernières décennies, d’effacer les personnalités de son discours, ces monarques et ces présidents, ces guerriers et ces inventeurs, ces capitaines d’industrie et ces héros de la guerre, souvent mis en valeur pour des raisons de propagande, et dont on égrenait les anecdotes en Images d’Épinal ?
Ils avaient été remplacés par une lecture davantage sociologique et économique, moins "personnalisée". Sans doute le public, en ces temps où même l’actualité se feuilletonise, n’a-t-il pas pu se passer de héros, par souci de simplification et par nécessité d’identification. Ces "Histoires de l’Oncle Paul" étaient peut-être le passage obligé pour susciter sa curiosité, de même que les célébrations - marronniers journalistiques s’il en est - sont là pour rythmer aussi bien les librairies que les écrans, comme les anniversaires animent les réseaux sociaux. Peut-être cette génération d’historiens a-t-elle manqué d’humilité et oublié la part de construction inévitable de tout récit national.
On imagine qu’avec cette biographie nous ne sommes pas dans le projet que Jean-David Morvan porte secrètement depuis dix ans, dans la BD d’auteur dont on s’enorgueillit une vie entière façon Tardi ou Spiegelman, bien que de Robert Capa à Jaurès une ligne se dessine. L’exercice ne manque cependant pas de qualité et la simple participation d’un Vincent Duclert -brillant spécialiste de l’Affaire Dreyfus- à l’entreprise devrait inspirer confiance quant à l’approche. Et puis, la BD a cet avantage : son art de la synthèse, la force de ses images font davantage œuvre de transmission qu’une thèse de troisième cycle.
Et la réussite est là : non seulement cet album rend audible un discours politique vieux d’il y a cent ans -et Dieu sait à quel point l’époque actuelle manque de réflexion politique- mais il incarne parfaitement le personnage de Jaurès, ses ressorts idéologiques, ses idées. Le dessin de Rey Maculay y est pour beaucoup : ses portraits, ses attitudes, ses décors sont justes, et la couleur de Walter sait rester dans sa valorisation.
Mais on sent surtout la qualité de l’appui documentaire : unes de journaux, repérages précis des lieux. Si les Oncle Paul se signalaient souvent par un réalisme approximatif, ces dessins-ci apportent autant d’informations que les textes, pourtant diserts. Le dossier historique et le "making of" confirment ce sentiment s’il en était besoin. Comme quoi une œuvre de commande peut faire un très bon livre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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