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L’inoubliable "Der des ders"

Par Marie M le 2 novembre 2006                      Lien  
Ils sont vingt - et cent, ils étaient des milliers...La grande guerre, la « der des ders » comme on aimait bien la nommer, inspire de nombreuses personnalités artistiques. Aujourd'hui encore, vient s'ajouter un nouveau {Paroles de poilus} au flot éditorial.

L'inoubliable "Der des ders"Cette fois, il s’agit d’un collectif de courts récits en bandes dessinées adaptées des lettres écrites par les poilus durant la guerre de 14/18, celles-là même qui furent mises en avant par Jean-Pierre Guéno (directeur des éditions Radio France), avec Yves Laplume en 1998, dans un volume de la collection Librio [1]. Un ouvrage qui fit date, à la fois référence et outil pédagogique.

2006 réunit les volontés de Soleil et de France Inter

Les deux éditeurs s’associent pour publier un ouvrage superbe, tant dans sa mise en page et sa fabrication que dans son contenu et la mise en valeur des lettres exploitées par les dessinateurs.
Ils sont 20, choisis pour illustrer 20 lettres auxquelles s‘ajoutent 7 illustrations de Lidwine, et une illustration de couverture signée par Lauffray.

Jean-Pierre Guéno
Photos DR (c) Les Arènes

Selon les sensibilités de chacun le ton sera plus ou moins lourd.
Ainsi l’illustration de Juanjo Guarnido est un vrai choc visuel. Pas d’échappatoire possible, l’image est terrible, le poids des mots est immédiatement visible avec la représentation de cet amas de corps d’hommes à qui on a enlevé la vie et parfois l’habit, ainsi ce cadavre, dessiné au dessus des autres, le corps flasque, sans force, sans muscle, le sexe nu devenu inutile. Le dessin montre à quel point la vie n’a plus de sens jusque dans ses derniers symboles. Parmi les auteurs les plus incisifs dans leur interprétation, la bande de Gimenez est terrible également, ainsi que celle de Biancarelli dont je n’apprécie habituellement pas le réalisme trop proche d’un travail photographique.

Planche de Biancarelli
© Biancarelli/MC Productions/Radio France

Et puis, car il faut toujours un peu de dérision, la bande de Farid Boudjellal nous rappelle combien le monde ne change pas, ni dans ses inepties, ni dans ses lourdeurs administratives. Le compteur à gaz sera donc la tranche d’humour noir de ce recueil qui se veut fidèle à la réalité.

L’humour le plus pur y est également présent et même si le dessin au trait des frères Jouvray est mis en couleurs très sombres par Anne-Claire, le ton est réellement drôle et on s’imagine tout autant que l’auteur de la lettre une jolie vache déguisée en fleur, euh... non, en cheval pour une nuit !

Les différents styles se marient parfaitement, les peintures directes côtoient de près les bichromies, les noirs et blancs se mélangent aux aquarelles, toutes les libertés sont permises sauf celle de changer les textes. Chacun des auteurs a scrupuleusement restitué les lettres ou sont restés muets comme la bande dessinée d’Emmanuel Lepage.

Après cet ouvrage conçu pour le mérite, on ne pourra certainement plus mettre à mal les travaux dits de commande qui prouvent ici que la part de créativité reste entière pourvu qu’on lui en laisse le temps et les moyens. Les auteurs ont réalisé un très beau livre et c’est avec admiration que je replonge dans leurs pages.

Bravo à tous avec une émotion de plaisir non dissimulé pour le travail de De Metter, Kristiansen ou encore N’guessan et Bajram.La larme a coulé sur le dessin de Parnotte , Mallié et Bourgier. La révolte, la colère et l’horreur s’unissent de concert aux dessins de Guarnido et Giménez. Le sourire s’affiche grâce à Farid Boudjellal, la famille Jouvray, Hérenguel. Un profond ressentiment en regard des planches de Biancarelli et de Bramanti. L’imagination de Cromwell, de Alary, et de Severin font figures de proue. Et à la poupe, le dessin sobre et parlant de Penet et le temps d’une trêve, quand le temps se suspend, l’espoir est figé par Adrien Floch ou encore par Emmanuel Lepage avec ses couleurs ensoleillées... celles de la prochaine armistice ?

Une des illustrations de Lidwine
© Lidwine/MC Productions/Radio France

L’hommage artistique

Bien entendu, la bande dessinée n’a pas attendu cet ouvrage pour rendre hommage aux poilus aussi il convient de rappeler quelques titres pouvant attirer l’attention d’un lecteur désireux d’aller plus loin (liste non exhaustive) : Ex Voto de Rabaté (Vents d’Ouest),C’était la guerre des tranchées, ou encore Soldat Varlot, Le trou d’Obus et La véritable histoire du soldat inconnu de Jacques Tardi chez différents éditeurs, Le front de Nicolas Juncker (Milan), La tranchée de Christophe Marchetti et Virginie Cady (Vents d’Ouest), La ligne de front - tome 1 d’Une aventure rocambolesque de Vincent Van Gogh de Larcenet (Dargaud), Le sang des Valentines de Christian De Metter et Catel (Casterman), La lecture des Runes de David B (Dupuis), Dix de der, L’ombre du corbeau de Didier Comès (Le Lombard), La Vigie de Chauzy (Casterman) ou encore Le roi cassé de Dumontheuil chez Casterman.
Rayon littérature et cinéma, on se tourne bien évidemment vers les dernières nouveautés qui sont Joyeux noël et Un long dimanche de fiançailles pour les plus connues.

Le trou d’Obus
© Imagerie Pellerin 1984 Tardi

Pourquoi cette multitude d’ouvrages sur la Première Guerre mondiale ? Parce que les derniers témoins sont en train de disparaître peut-être. Et parce que le souvenir des horreurs est peut-être le meilleur moyen de repousser la guerre suivante...

Pour conclure, en écho pour ainsi dire, une toute récente lettre écrite par François Hadji-Lazaro, musicien, seul mode d’expression manquant à l’appel et qui chante dans son dernier album [2] :

« En cet hiver de 1915 , il m’avait dit qu’il vous aimait très fort, c’est arrivé au milieu des plaines, ils ont tiré sans discontinuer. Lui, il a pris un éclat dès les premières salves. Il est retombé dans la tranchée. »

La boucle est bouclée, tous les arts peuvent se rencontrer ou presque grâce à ce magnifique livre donnant envie d’aller encore un peu plus loin.

(par Marie M)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1Paroles de Poilus : Lettres et carnets du front, 1914-1918 (Poche) Documents - numéro 245 - Isbn 2290335347 - J’ai lu - Décembre 2003.

[2« Aigre Doux » Cd audio sorti en septembre 2006.

 
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1 Message :
  • > L’inoubliable "Der des ders"
    5 novembre 2006 22:13, par Patrice

    On pouvait craindre un certain opportunisme de circonstance (le 11 novembre est tout proche !), recycler un succès de librairie sans effort et sans création, et puis la difficulté de retraiter le sujet après le monumental Tardi !
    Au final, l’ouvrage produit par les éditions soleil est plus que convaincant : un bel objet d’édition véritable écrin pour un contenu qui ne l’est pas moins. La diversité d’approche des auteurs sert avantageusement le propos, qui reste toujours autant chargé d’émotion. Un album à conserver précieusement à côté de "c’était la guerre des tranchées" de Tardi dont il prolonge avantageusement le propos et la force.

    A noter que dans son numéro de Novembre "Suprême dimension" donne quelques révélations intéressantes sur la réalisation de l’album.

    Patrice

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