On sentait la fébrilité la semaine dernière à l’inauguration de l’exposition Titeuf par la bande à la Galerie Glénat à Paris. C’était la première grande inauguration parisienne de la saison. Tous les éditeurs de Zep étaient là : Jacques Glénat, bien sûr, l’agent de Zep, Jean-Claude Camano, mais aussi Guy Delcourt qui publie également un album de Zep cet automne, ou encore Louis Delas, le patron de Rue de Sèvres, également éditeur de l’auteur suisse.
C’est que l’enjeu, pour Zep comme pour le reste de la bande dessinée est de taille. Tiiteuf fait partie des rares "produits d’appel" qui font revenir le grand public dans les librairies. Dans les grandes manœuvres de la rentrée BD 2015, la sortie d’un nouveau Titeuf est une opération-clé. Tous les éditeurs rêvent d’avoir ce genre de best-seller en navire-amiral. Titeuf, c’est 20 millions d’albums vendus en 25 langues, un long métrage en 2011 réalisé par Zep lui-même, quatre saisons de dessins animés à la TV (la 4e sort l’année prochaine sur France 3) et une exposition, Le Zizi sexuel, qui a défrayé la chronique à la Cité des sciences à Paris et rassemblés des dizaines de milliers de visiteurs. La sortie d’un nouveau Titeuf ne concerne pas seulement cette seule nouveauté : c’est tout Zep qui est remis en avant : les 13 précédents albums de Titeuf et puis les autres signés du même auteur, et quel auteur !
Ce qui caractérise Zep, l’auteur de Titeuf, c’est un trait d’une justesse extraordinaire, fondé sur une observation fine, maligne mais jamais blessante ni cynique, doté d’une bonhommie ronde, éminemment sympathique. Chez Zep, on n’a jamais l’impression de quelque chose de fabriqué. Qu’il fasse sa série best-seller ou un album plus confidentiel, c’est le même homme, la même sensibilité, la même probité : car on reconnaît Zep au travers de ses histoires, de ses personnages : un garçon sensible, fragile. Cela transpire de ce nouveau album, Bienvenue en adolescence. Cette mutation biologique vécu par le gamin à la mèche blonde, cette apostrophe en forme de camouflet qui lui est administré par la demoiselle convoitée : "Grandis un peu !", on a tous vécu cela, à tous les âges. Comment ne pas être concerné par une telle authenticité ?
Il y eut une période où l’on opposait la bande dessinée d’auteur : des gens comme Spiegelman, Reiser, Bretécher, Gotlib, Moebius dont la signature était la première marque de reconnaissance, aux grandes séries commerciales à personnage : Lucky Luke, Les Schtroumpfs, Boule & Bill, Largo Winch... Seules quelques individualités comme Hergé, Goscinny, Pratt, ou Gotlib arrivaient à exister en dehors de leur personnage-fardeau. Zep est de cette trempe. Il réussit le tour de force -et il est un des rares auteurs de BD d’humour d’aujourd’hui à y parvenir- à nous délivrer à la fois une bande dessinée ultra-populaire, pour tous publics, et une œuvre d’auteur, au sens où on l’entend aujourd’hui.
Le nouvel album confirme cette disposition : le passage à l’adolescence de Titeuf, pour l’essentiel fantasmatique, que les jeunes fans se rassurent, aligne une suite de situations et de personnages incroyablement bien observés : dans l’attitude, jusque dans le pli du vêtement. On n’avait plus vu une telle intelligence de dessin depuis Franquin ! Zep est incontestablement l’un des plus grands auteurs de BD de notre temps.
Un signe qui ne trompe pas, c’est la reconnaissance de ses pairs : en témoigne dans la très belle exposition que la Galerie Glénat à Paris a mise en œuvre ce mois-ci, Titeuf par la bande, jusqu’au 22 septembre 2015. Les plus grands noms : Uderzo, Gotlib, Moebius,... se sont joints depuis plusieurs années pour rendre hommage à Titeuf. Ils sont exposés à la galerie dans la partie qui montre la collection personnelle de l’auteur. Mais d’autres se sont joints à la liste : Manara, Liberatore, Bastien Vivès, le plasticien contemporain Prats, Vuillemin et bien d’autres tous réunis dans un album-hommage. Pour chacun de ces auteurs, un regard admiratif, un clin d’œil complice qui là-aussi a des accents de sincérité.
Pour Titeuf, grâce à Zep, ce n’est pas la rentrée des classes : c’est la rentrée de la classe.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Le site de la Galerie Glénat. Certains originaux de l’exposition Titeuf par la bande sont en vente. Les prix vont, selon l’auteur, de quelques centaines d’euros à plusieurs milliers. Ces dessins ont fait l’objet d’un catalogue à tirage très limité, vendu uniquement dans la galerie au prix de 29€.