« Avec Rahan, j’ai trouvé une série à ma convenance, qui met en valeur l’anatomie humaine et animale, la nature à l’état brut » avait-il déclaré au fanzine de référence Hop ! en 2005.
Merveilleuse synthèse de ce qui faisait la qualité de son travail : une nature luxuriante, fantastique et préhistorique, envahissante et puissante, dans laquelle des hommes luttent en exacerbant toutes leurs qualités : la vigueur et la force bien sûr, mais aussi pour Rahan, surtout l’intellect, car au final, ce qui différencie le fils de Craô de ses pairs, c’est son intelligence aiguë.
Des Américains, Chéret avait retenu une emphase graphique qu’il était l’un des rares à pratiquer de ce côté-ci de l’Atlantique. Publié en 1969 dans l’hebdomadaire Pif-Gadget avant de vivre ses aventures dans une publication portant son nom, Rahan avait pour scénariste Roger Lécureux, un ouvrier-imprimeur à l’origine, pilier de l’équipe du journal à qui on devait notamment Les Pionniers de l’Espérance dessiné par Raymond Poïvet.
Bien que Rahan fut un tarzanoïde obéissant aux clichés de son époque (les ennemis du blond héros avaient très souvent une apparence simiesque), cette BD avait pour vertu de proposer des histoires éminemment éducatives toujours soucieuses de mettre en avant les valeurs progressistes. Rahan était sa principale série, aujourd’hui disponible en intégrale aux éditions Soleil.
Mais en dehors de cette figure incontournable de l’histoire de la BD française, Chéret avait beaucoup produit comme illustrateur et auteur de BD. Après un court passage dans la presse catholique (Fripounet et Marisette), il entre en 1962 dans Pif où il réalise une série dans un monde plus proche du nôtre avec sa reprise de Bob Mallard, l’aviateur tête brûlée certes plus habillé que Rahan, mais avec qui il partage nombre de qualités.
Il en va de même pour Domino qu’il dessine sur un scénario de Jean Van Hamme qui se passe sous la Régence et qui ne laissa pas un souvenir iméprissable au scénariste de XIII et de Largo Winch. Ces grands écarts temporels démontrent le talent du dessinateur capable de passer d’un registre à un autre dans le domaine de l’aventure. Il s’en servira d’ailleurs pour faire de magnifiques panoramas qui surgissent au détour de toutes ses pages, comme une signature.
On retrouve dans chacune de ses séries un dynamisme rare, une énergie tant dans le mouvement que dans le rythme, et que beaucoup lui envient : dans une interview qu’il nous donnait en 2015, il nous apprend que le dessinateur de Tarzan Burne Hogarth lui-même avait paru impressionné par le dynamisme de son dessin. Sa maîtrise de l’anatomie stupéfiait d’autant plus quand on le savait autodidacte.
Il nous avait livré cette anecdote sur son parcours en 2015 : « Je me souviens un jour être allé à un cours de dessin. Une femme posait nue, ce qui ne m’inspirait pas vraiment. J’ai commencé mon dessin par le doigt de pied et remonté mon trait, ce qui me semblait une façon correcte de faire... Le professeur qui se trouvait derrière moi m’a indiqué la porte !... »
Il aura fallu près de 4 000 pages aux éditions Soleil pour réunir en 26 volumes l’intégrale des aventures de Rahan. Une œuvre colossale, qui a marqué durablement nombre de lecteurs et qui a véritablement porté Pif Gadget, le périodique dans lequel elles étaient publiées à l’origine en étant sa série principale.
Il avait été élevé au rang de Chevalier des arts et des lettres en 2004, distinction qui saluait l’immense travail d’un drand de la bande dessinée.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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