"Je pensais que mes dessins étaient en deçà de la norme requise pour les travaux commerciaux professionnels" dira d’ailleurs à ce sujet le dessinateur, lucide, par ailleurs très apprécié pour le dynamisme de ses séquences d’action. Il n’empêche, ces erreurs de base, qui décontenancent le lecteur, étaient parfaites pour exprimer pleinement les sentiments moites de la terreur, du dégoût, du basculement et de la peur panique qui font le sel de la série.
Grâce à ces "approximations", les géants anthropophages étaient monstrueux et effrayant à souhait ! Ce côté grotesque plus ou moins volontaire contribuait remarquablement à différencier et personnaliser L’Attaque des Titans des autres travaux similaires, ce qui a sans doute contribué à en faire une délicieuse bouffée d’air frais, bienvenue, dans le monde du manga. "Mieux vaut avoir un style mémorable>/i>"dira également Isayama plus offensif, dans un entretien au magazine japonais Brutus,"Même un mauvais style mémorable. L’essentiel est de se démarquer". C’est certain. Mais, paradoxalement, lorsque l’artiste a progressé peu à peu dans la maîtrise des bases académiques, ce sentiment diffus de malaise et d’anxiété a eu un peu tendance à diminuer, l’atmosphère dégagée par la série est devenue moins morbide et dérangeante.
Mieux construits, ses titans sont devenus un peu moins effrayants. L’expérience de lecture a légèrement basculé vers un confort visuel passablement contre-productif pour ce genre d’histoire à tendance gore, sombre et traumatique, où le thème central est la survie, le quotidien empreint d’incertitude, avec une lutte très inégale contre l’adversité.
La délicieuse atmosphère étrange qui se dégageait de ses planches au départ a subi le contrecoup de l’amélioration de ses capacités graphiques... Il est vrai, au passage, que c’est ce genre de subtilités à décortiquer : "Ceci est un manga qui évoque fortement les craintes primitives de l’homme pour la forme des choses gigantesques qui approchent", dira d’ailleurs la critique japonaise Tomofusa Kure, dans le quotidien national japonais Asahi Shimbun. Kure ajoute : " Si ce manga avait été présenté avec des illustrations raffinées, cette étrangeté n’aurait pas été possible."
Plus précis Isayama a son explication propre : "C’est peut-être quelque chose comme une coutume, mais je dessine des choses laides depuis que je suis au lycée, des choses laides exclusivement. Tout comme l’écriture de chaque personne lui est unique, je pense que mon art est idiosyncrasique pour la laideur." Des propos plutôt rares, tout compte fait.
Mais pas d’inquiétude, de l’atmosphère il y en a toujours ! Les Titans restent "baroques" et fantasmagoriques comme il se doit, le lecteur a sa dose de bouleversements qui retournent l’estomac.
Continuons maintenant encore avec quelques références surprenantes : clins d’oeil malicieux et inspirations qui ne vont pas sans controverse, parfois sévère. Commençons avec Sony et Bean, des titans prisonniers des humains, lourdement arrimés au sol.
Un plagiat d’un film de Guillermo del Toro ?
Côté controverses, on devise beaucoup par contre sur la ressemblance entre L’Attaque des Titans et le film Pacific Rim de Guillermo del Toro. Déjà, lorsque le réalisateur a conçu ses robots géants qui combattent les kaijus, créatures inspirées du folklore japonais toutes aussi géantes, il a été fortement influencé lui aussi, dit-on, par la peinture de Francisco Goya Le Colosse, avec son géant nu.
Les deux récits mettent en scènes également une humanité décimée, des murs et un enfant orphelin à la suite des attaques, qui jure de se venger en devenant un soldat. Dans Pacific Rim, ces soldats sont appelés "pilotes de jaeger", formule inspirées de jäger, mot allemand qui se traduit par "combattant". Dans L’Attaque des Titans, le personnage principal s’appelle Eren Jäger (traduit suivant les supports narratifs Jaeger), un nom, comme beaucoup d’autres personnages de la série, à consonance germanique. Controverse stérile en fait : Del Toro est un grand collectionneur de mangas revendiqué, il reprend ici certains thèmes classiques à ce genre et L’Attaque des Titans est sorti en 2009, après la gestation que nous avons vue dans le premier article qui traite ce sujet, alors que Pacific Rim est sorti en 2013.
Sur-interprétations et autres lectures paranoïaques
Plus sérieux maintenant, alors que nous avons déjà souligné les capacités métaphoriques de ce manga, un bon point souvent mis au crédit de l’auteur. Or, toute une partie de la jeunesse de Hong Kong a cru y reconnaître une allusion au "danger" supposé de la Chine Orientale, représentée par les Titans. Quand certains médias hongkongais ont accusé la série de promouvoir une haine à peine voilée contre cette même Chine, estimant que les géants carnivores étaient une allégorie de cette Chine communiste convertie au capitalisme qui dévore tout sur son passage....
Plus tendu encore, un magazine spécialisé de Corée du Sud a prétendu que la série secrétait un certain message politique et militaire, pour le compte supposé du Premier Ministre japonais Abe Shinzo, dont le projet caché serait le réarmement de l’empire du Soleil Levant, motivé précisément par la pression la Corée du Nord. Cette thèse alimenta de multiples menaces de mort à l’encontre d’Isayama, à qui l’on reprochait de s’être inspiré, pour l’un de ses personnages, de Yoshifuru Akiyama, général de l’armée impériale japonaise, criminel tristement célèbre en Asie du sud.
Plus souriant enfin : par le biais du site Adala News et d’une émission japonaise, nous en savons plus sur la ville qui aurait inspiré le manga L’Attaque des Titans : une ville allemande. Souvenons-nous que la plupart des personnages ont un nom à consonance germanique.
Mais la cité médiévale de Carcassonne à aussi été évoquée par le site DDN Japan, en la comparant au district de Shiganshina, ville fortifiée de naissance d’Eren et de ses proches amis. Elle est d’ailleurs nommément évoquée pour le tournage des films en prise de vue réelle annoncés depuis un certain temps, comme nous l’évoquons dans notre prochain article.
La suite pour jeudi 13 août 2015.
(par Pascal AGGABI)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
LIRE LE PREMIER ÉPISODE DE LA SAGA "L’ATTAQUE DES TITANS"
LIRE LE SECOND ÉPISODE DE LA SAGA "L’ATTAQUE DES TITANS"
LIRE LE TROISIÈME ÉPISODE DE LA SAGA "L’ATTAQUE DES TITANS"
Lire aussi : La multiplication des succès selon Pika (1/2) : L’Attaque des Titans
Lire la chronique L’Attaque des Titans - Before the Fall T1 & T2 - Par Ryo Suzukabe et Satoshi Shiki - Pika Édition
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En médaillon : En couleur aussi, L’Attaque des Titans reste noir, pessimiste et incertain. La série animée, très réussie, aura donné une assise plus nette à certaines choses, comme la manœuvre tridimensionnelle. Isayama a salué la qualité de cette adaptation qui sert d’aiguillon à l’amélioration de son propre travail. © Wit Studio Inc./Isayama