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Paolo Serpieri : La vérité toute nue.

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 juin 2003                      Lien  
Paolo Eleuteri Serpieri est né le 29 février 1944 à Venise, mais il réside aujourd’hui à Rome. Considéré, avec son compatriote Manara, comme l’un des maîtres de la BD érotique d’aujourd’hui, nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son nouvel album, « Clone » qui fait pendant au précédent, « La Planète oubliée ». Pour la première fois, le dessinateur italien nous dit la vérité sur « Druuna ». La vérité toute nue…

Comment décririez-vous l’univers de Druuna ?

C’est une histoire futuriste avec des références actuelles enrobées dans un certain humour, ce qui est peu paradoxal quand on décrit un univers aussi apocalyptique, une vision aussi pessimiste du futur de l’humanité. Tout le contraste vient de la psychologie du personnage de Druuna, le seul être vraiment humain de l’histoire. Druuna me sert à décrire ce que sont les humains, des êtres tourmentés, certes, mais qui portent des valeurs. Ce sont des personnes, pas des entités anonymes, des numéros. Druuna n’est pas une héroïne. C’est une femme, avec ses complexités, une femme ordinaire, une femme d’aujourd’hui. Il n’existe pas dans la SF de personnage aussi volontairement réaliste, banal pourrait-on dire, que Druuna. La SF envisage habituellement les personnages autrement.

Paolo Serpieri : La vérité toute nue.
Paolo Eleuteri Serpieri
Paolo Eleuteri Serpieri, l’auteur de Druuna - Photo (c) D. Pasamonik

En même temps, on reste sur un plan symbolique. C’est une épure. Un personnage nu dans un monde en décomposition…

C’était mon intention. C’est comme une peinture qui ménage le contraste entre un personnage très simple sur un fond très contorsionné, tourmenté. Ce contraste accentue la symbolique de pureté que représente Druuna.

Le poète avait donc raison : « La femme est l’avenir de l’homme » ?

La femme, physiologiquement, porte ce futur, c’est certain. Mais elle est aussi l’autre face de l’humanité, au même titre que l’homme. Cela dit, elle est pour moi sa dimension charnelle, érotique, le symbole de la pulsion de vie qui nous anime. Si je devais dessiner un homme dans les mêmes conditions, je n’arriverais pas à faire passer ce genre de sentiment.

Il y a semble-t-il une tradition italienne de l’érotisme qui va de Crepax à Manara, Magnus…D’où vient cette tradition sensualiste, sensuelle de la création italienne ?

Je préfère la référence à Crepax plutôt qu’à Manara. Son personnage de Valentina évolue également avec humour dans une atmosphère graphique très sophistiquée.

L’univers de Crepax est quand même beaucoup plus intellectuel…

Bien sûr. Il y a chez Crepax un raffinement intellectuel, avec une intention morale qui personnellement ne m’intéresse pas vraiment. Son érotisme est beaucoup plus cérébral. Druuna porte l’accent sur l’animalité, viscérale, charnelle de l’érotisme.

Druuna, c’est en fait une parodie de la SF, un prétexte à l’érotisme ?

Oui, effectivement. Cela m’a permis de traiter de l’érotisme dans un registre différent, original. L’élément paradoxal de la SF me semblait davantage porteur que la Fantasy qui, à cause de dimension magique, supprime l’effet de paradoxe et donc m’intéresse moins.

Druuna : "Clone"
Le dernier album de Druuna : "Clone" (Editions Bagheera)

D’un point de vue stylistique, vous êtes dans la lignée d’illustrateurs comme Antonio Hernandez Palacios, Esteban Maroto ou Francisco Solano Lopez… Vous êtes un italien influencé par le monde hispanique ?

On peut parler de « dessin latin » par opposition à un dessin français comme celui de Bilal ou de Moebius. Quand j’ai découvert Palacios, j’étais en pleine réflexion sur le traitement des ombres et des lumières. Sa façon de faire m’a semblé évidente. Maroto a un dessin plus décoratif. Je suis dans une problématique plus réaliste que lui, plus concrète. Pour lui, la page de BD a une dimension illustrative, picturale. Personnellement, je suis plus attiré par un réalisme cinématographique, avec son découpage en séquences, son traitement des ombres et des lumières… Je recherche une certaine théâtralité dans mes images, comme dans la peinture baroque ou dans Le Caravage, et sa façon de poser la lumière, de ménager les contrastes. C’est ce qui m’intéresse dans le baroque : la théâtralité plus que la dimension décorative.

Druuna
Druuna en majesté. Dessin de Serpieri (c) Editions Bagheera, Paris.

Le cinéma ne vous a jamais tenté ?

Il y a un projet, en effet. Kevin Eastman, propriétaire du magazine « Heavy Metal » [et créateur des « Ninja Turtles ». NDLR], est en train de travailler sur le concept. Ce ne sera pas un projet d’animation car je n’imagine pas Druuna transposée en silhouette, dans cette animation traditionnelle dont le dessin est réduit à deux dimensions avec des aplats de couleur unie façon « ligne claire ». Peut-être que les techniques numériques actuelles permettront une adaptation plus fidèle. J’en saurai plus dans les mois à venir.

Si le film est « live », quel est le casting dont vous rêvez pour assurer le rôle-titre ?

Mmm. C’est difficile. Quand je l’ai dessinée au début, ma source d’inspiration était Valérie Kapriski. Mais c’était il y a quelques années ... En plus, Druuna a évolué sur le plan graphique. Un de mes amis prétend que Jennifer Lopez dans « Flashdance » pourrait faire l’affaire. Je ne suis pas trop convaincu. Pas davantage pour Monica Bellucci. Sur le site Druuna.net, le trio de tête est composé de Selma Hayek, puis de Laetitia Casta, puis de Jennifer Lopez.

Emmanuelle Béart dont les charmes ont récemment fait la couverture de « Elle », me semble une bonne candidate

Je ne la connais pas. Une top model brésilienne, Anna Lima, qui s’est fait photographier dans la position de Druuna, de dos, dans l’eau (sa photo est sur le site) a une ressemblance saisissante. Mais ce n’est pas une actrice…

Vous aurez certainement un grand plaisir à faire le casting vous-même…

Oui, en effet.

Il y a des pays dans le monde où Druuna remporte un succès particulier ?

C’est une femme au tempérament latin que l’on retrouve plutôt au Brésil. Il semble que ce soient ses seins qui interpellent le plus le public américain. En revanche, en terme de ventes et de notoriété, le premier pays, c’est la France.

Comment votre compagne appréhende-t-elle votre vie au quotidien avec Druuna ? Elle accepte cette cohabitation sans problème ?

Quelques fois, cela la dérange. Lors des dédicaces, les lecteurs me disent souvent : « J’ai Druuna à la maison ». Cela dit, il arrive souvent que mes dessins s’inspirent de ma femme !

Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 19 mai 2003.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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