L’un des auteurs espagnols les plus importants des deux dernières décennies, Miguelanxo Prado, auteur notamment de Trait de craie, Alph’art du meilleur album étranger à Angoulême en 1994, ou plus récemment d’Ardalén, à l’aise dans des registres très différents, du comique au poétique, du mélancolique au loufoque, nous revient avec un album très réussi dans un autre genre : celui du polar social. Social plus que polar d’ailleurs.
Dès les premières pages, un meurtre, puis un second, un troisième, un quatrième… Les enquêteurs n’ont pas le temps d’enquêter, à peine un cadavre identifié qu’une nouvelle personne est empoisonnée, à peine du cyanure relevé dans une pizza qu’un nouvel échantillon de spray nasal ou de café est à analyser par les services techniques de la police, complètement débordés par l’avalanche d’autopsies et d’analyses chimiques. Un président, un directeur général, un directeur, un contrôleur financier, un commercial, un directeur territorial, toutes les victimes travaillent dans des banques et toutes représentent l’un des échelons possibles de la hiérarchie d’un établissement bancaire. Tueur en série, groupe terroriste ?
L’enquête n’avance donc qu’à grand peine, mais, pour le lecteur, le suspense n’est qu’assez faible. Les deux premières planches nous montrent un couple de retraité, suicidés dans leur appartement après un mandat d’expulsion, allongés sur leur lit, main dans la main, une lettre adressée au juge sur leur table de chevet, tandis que l’introduction nous explique le principe des actions préférentielles, qui, en Espagne, allia les intérêts du secteur bancaire et de l’immobilier et vit la ruine de centaines de milliers de petits épargnants, aboutissant à des cas extrêmes, et notamment aux suicides de nombreuses personnes âgées, qui « n’ont pas trouvé d’autre sortie possible ».
On comprend donc que ce polar est en fait la chronique d’une génération de retraités qui, dans la Galice du début des années 2010, ont tout perdu et ont décidé de passer les quelques mois ou années qui leur restaient à vivre à se venger d’un système économique immoral. C’est ainsi qu’il faut comprendre le titre de l’album : ces Proies faciles, ce sont bien davantage ces petits vieux sur la paille que ces cyniques banquiers assassinés.
La narration de Prado, classique, est très fluide ; il évite toute démarche trop démonstrative, il garde une finesse réelle et montre l’humanité de ces personnages, loin de tout discours militant caricatural. Son dessin charbonneux et élégant se prête à merveille à son propos, et permet de livrer un récit noir dans tous les sens du terme : un album inattendu sur la violence dans notre société.
Voir en ligne : Le site de l’auteur
(par Tristan MARTINE)
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