« Un des maîtres du manga d’horreur » ? Certes, c’est un peu court pour celui qui a été récompensé par deux Eisner Awards en 2021, après en avoir déjà reçu un en 2019.
Sensor est un one-shot. Une jeune fille se promène dans la montagne, près d’un volcan, et rencontre un homme qui prétend l’attendre et la guide jusqu’à un village. Des cheveux d’or le recouvrent, hommes, femmes, animaux, objets... Ces cheveux donnent une perception extrasensorielle sur les secrets de l’univers. C’est alors que le volcan entre en éruption et crache des flots de cheveux d’or, en même temps que des cendres et de la lave. Les pompiers retrouvent la jeune femme dans un cocon de cheveux d’or, indemne mais mutique, possédant une magnifique chevelure dorée.
C’est le pitch lançant cet album, assez classique dans sa construction. Les habitants du village ressemblent beaucoup à une secte à la recherche des secrets de l’univers. Secte que l’on rencontrera à d’autres reprises, avec toujours ces cheveux d’or comme lien, et ce sentiment d’accéder grâce à eux aux autres (télépathies) et à l’univers en entier.
Univers qui cache, bien entendu, de bien sombres secrets, les entités qui s’y dissimulent n’étant pas bienveillante du tout.
Il est possible de faire un rapprochement avec La couleur tombée du ciel de H.P. Lovecraft, une des sources d’inspiration majeure pour Junji Ito. Toutefois, nous sommes ici dans un récit beaucoup plus mystique, utilisant une symbolique chrétienne rare dans les mangas.
En effet, les habitants du village sont des héritiers spirituels d’un groupe de fidèles d’un certain Miguele, prêchant l’amour du Christ au XVIIe siècle. Miguele et ses fidèles ont été jetés dans le cratère du volcan par les hommes du Shogun lors des persécutions des chrétiens à l’ère Edo. C’est depuis ce moment que le volcan crache des cheveux d’or, comme ceux du saint prêcheur.
Si cette symbolique autours de Saint-Michel constitue la base spirituelle de l’album, elle va vite évoluer vers quelque chose de beaucoup plus horrifique et perturbant.
Néanmoins, le succès d’un récit d’horreur réside dans son incarnation dans un quotidien familier. Ce n’est pas vraiment le cas ici où les événements se déroulent dans une montagne éloignée de toute civilisation, qui ne constitue pas non plus un environnement hostile où toute échappatoire est impossible.
La grande innovation réussie de l’album sont les insectes de Bisha-Ga-Ura. Sans dévoiler de quoi il s’agit, personne ne voudrait en écraser, tant cela peut être perturbant et dérangeant.
Un album esthétiquement impeccable qui, s’il n’est pas le meilleur de l’auteur, permet de découvrir une partie de son univers. Il faut noter la réalisation irréprochable de l’ouvrage par l’éditeur, réalisant un très bel objet avec jaquette, vernis sélectif et dorure. Une qualité appréciée qui, si tous les ouvrages bénéficient du même soin, donne envie de découvrir le reste du catalogue.
(par Jérôme BLACHON)
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