Interviews

Simon ("MediaEntity") : « La bande dessinée n’a pas de limite dans la narration »

Par Charles-Louis Detournay le 21 janvier 2014                      Lien  
Après avoir proposé une entrée en matière digne d'un thriller dans le premier tome de leur série {MediaEntity}, Simon & Émilie densifient encore le scénario de cette aventure transmedia en l'orientant résolument vers le thème de la machination : que se passerait-il sur toutes nos images étaient manipulées à partir de nos profils sociaux, notamment ? Angoissant, réaliste et percutant !

Quelques mois après le premier tome, vous publiez déjà le deuxième tome de MediaEntity. Est-il nécessaire d’avoir un rythme de publication aussi soutenu pour lancer une série dans le marché actuel ?

Je ne sais pas si cela est nécessaire. Mais au-delà du fait que MediaEntity est une nouvelle série, c’est un projet un peu étrange. Rapprocher ainsi les deux premiers tomes nous permettait d’avoir l’opportunité de revenir quelques mois après le lancement du concept, afin de continuer à présenter ses enjeux.

Simon ("MediaEntity") : « La bande dessinée n'a pas de limite dans la narration »
Le tome deux sort ce mercredi 22 janvier

Comment Émilie parvient-elle à tenir le rythme alors que les albums font 56 pages et qu’elle assure dessins et couleurs ?

Le rythme est très intense car Émilie doit dessiner et découper une double version : turbomédia et papier. Le numérique n’est pas un gain de temps, c’est plutôt le contraire ! Elle s’est occupée des couleurs du premier tome, mais n’aurait pas pu continuer à assumer cette tâche. On est très fiers qu’Hubert ait accepté de travailler sur MediaEntity. Il a fait un travail formidable pour rentrer dans l’univers tout en apportant sa touche personnelle.

Quelle caractéristique apporte la bande dessinée par rapport aux autres médias que vous travaillez sur cette série (Internet, animation, etc.) ?

La bande-dessinée n’a pas de limites de narration. Elle gère aussi bien le temps que l’espace. Elle représente donc le fil rouge de l’univers car c’est l’expérience de lecture la plus complète. Je crois que c’est Alan Moore qui disait que la bande dessinée est le seul médium à pouvoir synchroniser les deux hémisphères du cerveau. Les idées véhiculées passent plus facilement car elles sont assimilées à tous les niveaux de la conscience : analytique et émotionnel.

Pour doper l’expérience de lecture, vous proposez à nouveau une "réalité augmentée" dans ce deuxième tome : quels sont les éléments que vous destinez au lecteur connecté ?

Sur le tome 2, nous voulons continuer d’explorer les interactions possibles entre l’image imprimée et les contenus audiovisuels. Le lecteur aura accès à de nouvelles vidéos et de nouveaux documents. Enfin, la nouveauté est que ces éléments de "réalité augmentée" sont également accessibles aux lecteurs qui n’ont ni smartphone, ni tablette. On s’est aperçu que ça pénalisait pas mal de lecteurs. Désormais, il suffira de se rendre depuis un ordinateur sur le site web de MediaEntity.

Quelle dimension désirez-vous apporter avec les dossiers qui complètent chaque album ? Toujours l’envie de rajouter une pièce au puzzle ?

La comparaison est bonne. MediaEntity est comme un puzzle dont on découperait les pièces au fur et à mesure. Les dossiers en fin d’album remplissent une double fonction : vis à vis du lecteur, c’est un moyen d’agrandir l’univers dans son esprit ; et pour nous, c’est un laboratoire où l’on peut lancer des pistes, proposer des passerelles avec les autres modules, poser des personnages secondaires, et voir comment ils se défendent face aux personnages principaux. Et puis, c’est une histoire sur les medias. Raconter des séquences au moyen de coupures de journaux et d’objets appartenant aux personnages est une façon de se plonger dans une narration transmedia. Des images chocs circulent sur le net ! Vérité ou images truquées : peut-on pirater notre identité ?

Si le tome 1 était relativement linéaire, le tome 2 multiplie les trames. Allez-vous augmenter la densité du récit jusqu’à la conclusion ? Avec des ouvertures pour une suite ?

Le récit suit plusieurs intrigues. C’est une caractéristique importante du projet global, et qui fera partie intégrante de son identité jusqu’à la fin du quatrième tome. Le récit conclura l’arc principal, celui d’Éric et d’autres personnages introduits dans ce tome 2. Mais si le succès est au rendez-vous, on a la matière scénaristique pour faire continuer l’histoire sur plusieurs saisons. Ceci dit, cette question de la conclusion de l’histoire est difficile à appréhender dans un récit transmédia, dont les ramifications lancent de nouvelles intrigues, posent de nouveaux enjeux. Ainsi, même si la série BD arrive à sa conclusion au quatrième tome et que le lecteur dispose d’une histoire complète, le récit pourra éventuellement continuer à se développer sur les autres supports.

Après le thriller du tome 1, le tome 2 permet de mieux comprendre ce qui peut se passer pour le commun des mortels lorsque leur entité est piratée. Allez-vous continuer à expliquer aux lecteurs les tenants et les aboutissants de ce complot ?

Oui. L’idée était de partir d’un cas très isolé, celui d’Éric, enfermé dans sa tour de la Défense, et de progressivement sortir voir le monde et prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Le complot se dévoile ainsi progressivement, notamment dans les dossiers en fins d’albums. Mais comme souvent, il n’est qu’un prétexte à mettre les personnages dans des situations inhabituelles. C’est ce qui nous intéresse.

Le tome 2 explique qui se cache derrière le Réseau Â. On peut supposer qu’il y a encore pas mal de secrets qui vont être dévoilés après cette réaction à MediaEntity ?

Le Réseau Ā est une clé importante de l’univers. Je ne vais pas tout dévoiler ici, mais certains personnages qui gravitent autour de cette communauté sont déterminants dans l’histoire. Les lecteurs qui ont lu ou joué au jeu de rôle avaient de l’avance et savaient déjà ce qui se cachait derrière le Réseau Ā. C’est une illustration concrète des différents niveaux de lecture d’un projet transmédia.

On commence d’ailleurs à bien comprendre les motivations des divers protagonistes, mis à part le mystérieux Wilhem. L’attachement aux personnages permet-il une meilleure identification pour ce type de thriller ?

Oui, l’identification aux personnages et à leurs motivations est très importante. Mais c’est vrai pour tous les genres de récit. Dans le cas de MediaEntity, ce qui nous semblait important dans ce tome 2 était de faire passer l’idée que les personnages ne sont pas toujours ce qu’ils semblent être et que les motivations sont parfois à double voire à triple détente. C’est ce qui fait l’intérêt d’un protagoniste.

Vous avez également développé une technique de découpage assez punchy. Moins de cases par planche, mais plus d’action, pour que le lecteur soit vraiment pris par le suspense ? Car vous auriez-vous pu faire rentrer toutes les cases dans un 44 planches !

La pagination est une question à laquelle nous avons beaucoup réfléchi avant de nous fixer sur ce format de 56 planches. On ne souhaitait pas avoir des albums de 44 planches surdécoupées, et surchargées à 14 cases par planche. Vu le rythme de narration, on a privilégié une sensation de lecture "vers l’avant", où le récit est relancé à chaque page.

Il en est de même avec vos cadrages variés, acrobatiques et cinématographique. Émilie joue également des perspectives et du réalisme pour augmenter le stress et la tension de certaines séquences. Comment travaillez-vous cette efficacité pour qu’elle serve sans lasser ?

Ce n’est pas quelque chose dont on a conscience à l’étape du découpage, qui est réalisé de manière très instinctive. C’est moins une "technique" qu’un conglomérat d’influences visuelles. Avec le recul, on peut probablement y voir un cas concret d’apport de la bande dessinée numérique à la bande dessinée papier. La narration cinématographique inhérente au turbomédia rejaillit probablement sur la bande dessinée papier. C’est aussi ce qui est fascinant avec la bande dessinée : sa capacité à intégrer, comme une éponge, les codes narratifs des autres médias pour son propre compte et à engendrer des formes hybrides qui font qu’elle se renouvelle sans cesse.

Initialement, MediaEntity ne devait pas être une bande dessinée. Comment appréciez-vous la tournure du projet pour l’instant ?

Nous sommes très heureux de son parcours. MediaEntity s’est nourri à toutes les phases de son développement. Le projet s’est enrichi de tous les médias qu’il a envisagés successivement. Et la bande dessinée, sa forme finale, est le réceptacle parfait pour exprimer tout ce que l’on a appris en chemin.

Comment se développent les autres pistes de MediaEntity (nouvelles, jeux, vidéos, etc.) ?

On y travaille sur le temps libre que nous laisse la bande dessinée (c’est à dire très peu !), mais tout avance en parallèle, à des vitesses variables, en fonction des impératifs de bouclage des albums papier, et de l’inspiration du moment. Avec tous les éléments transmédia sur le feu en même temps, on veille tout de même à toujours donner la priorité à la bande dessinée.

Y a-t-il déjà eu des tournages amateurs des scénarios que vous avez proposés ? Est-il toujours prévu que vous écriviez des E-books à ce propos ?

Dans la réalité augmentée du tome 2, on peut retrouver deux vidéos tournées par deux jeunes réalisateurs, Anthony Lassus et Duncan Lorthioir, qui ont découvert la BD et qui ont proposé de réaliser ces vidéos dans le cadre de l’aspect participatif du projet. C’est très stimulant pour nous. Ça nous pousse à nous replonger dans ces "scénarios à tourner soi-même" qui n’ont pas encore été finalisés. Quant aux E-books, la première nouvelle est à découvrir dans la réalité augmentée du tome 2.

Vous aviez fait fureur avec le jeu MediaEntity au festival de Bercy-Village. Y aura-t-il bien un jeu lors du festival d’Angoulême ?

Nous avons effectivement réalisé quelques jeux de piste. Un au festival Delcourt en Septembre à Paris, et un autre à Genève en Novembre lors d’un festival de projets transmédia. Le scénario de ce dernier notamment a été particulièrement apprécié par les joueurs. On aurait beaucoup aimé pouvoir le proposer à nouveau Angoulême cette année. Malheureusement, le bouclage du tome 2 ne nous a pas permis de dégager du temps pour l’organiser. En effet, il faut préparer des éléments personnalisés pour chaque participant. Pour les lecteurs que ça intéresse, le site Internet permet de se tenir au courant des prochaines sessions.

Simon & Émilie, les auteurs de MediaEntity

Quid d’une adaptation possible à la télévision ? Le tome 3 sortira-t-il bien pour le mois de juin ?

On va continuer sur la lancée de ce qu’on a déjà posé en continuant d’essayer de mener les différents modules de front. Nous avons reçu des propositions pour une adaptation audiovisuelle de la BD. Les discussions n’en sont qu’à leurs débuts, mais c’est gratifiant d’avoir suscité cet intérêt dès le premier tome. Quant au tome 3, il a été repoussé à l’automne pour nous permettre de réaliser la suite de la série plus sereinement. On a encore beaucoup d’envies et on veut se donner toutes les chances d’aller au bout de nos intentions artistiques. À noter qu’une nouvelle version du site est en ligne avec un nouvel épisode turbomédia...

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

De MediaEntity, commander
- Le premier tome chez Amazon ou à la FNAC
- Le deuxième tome chez Amazon ou à la FNAC

Lire nos articles précédents :
- la chronique du premier tome
- Le jeu MediaEntity fourbit ses pièges pour le Festival Delcourt-Soleil
- Delcourt lance la BD 2.0 : "La Petite Mort" en réalité augmentée

Découvrez MédiaEntity sur Facebook ou via leur propre site Internet

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Charles-Louis Detournay  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD