Bien sûr que ce livre se présente comme un livre d’histoire avec son cahier pédagogique qui vient là pour complémenter une bande dessinée qui pourtant se suffit à elle-même.
Bien sûr qu’un centenaire, ça sert à cela, au "devoir de mémoire" alors que les derniers poilus ont cassé leur pipe. Bien sûr que cette Première Guerre a eu sa réplique, plus terrifiante encore. Bien sûr que cette guerre n’a rien résolu : ni la violence du capitalisme, ni l’injustice de la colonisation, ni la morbidité consubstantielle des religions. Bien sûr que cette guerre (qui va bien au-delà de 1918) et les suivantes, furent le "prix" d’une certaine "modernité" qui nous "sert", aujourd’hui encore. Bien sûr qu’une simple bande dessinée n’est pas la garantie d’une prise de conscience. "Savoir est un viatique ; penser est de première nécessité ; la vérité est nourriture comme le froment" écrivait Victor Hugo dans Les Misérables.
La vérité de la guerre est là à toutes les pages car Tardi va plus loin que l’historien : par la langue, remarquablement écrite, qui rappelle que la guerre a son vocabulaire propre, sa sémantique qui diffère de celle des commentateurs et des analystes (les historiens en sont) et qui renvoie à l’éducation sommaire des appelés, loin des manières "civilisées" des fauteurs de guerre des états-majors, des cabinets ministériels et des conseils d’administration. La piétaille doit être inculte, même si elle ne comprend que trop bien.
Par le dessin enfin, qui touche au delà de l’intellect, transmettant les sensations légères d’un champ semé de coquelicots rouge-sang où le vent, gorgé d’ypérite, ne fait plus frissonner la narine, forcément ; celles horrifiques d’une tranchée boueuse où l’humain se confond désormais avec la glaise biblique qui l’aurait enfanté.
Avec son système de panels en diptyque (à gauche, les Boches ; à droite, les pioupious), où le gros plan est rare, et avec sa manière graphique caractéristique et cependant très précisément documentée, Tardi nous évoque dans cette intégrale des gens ordinaires, ceci sans aucune fascination, sans aucune nostalgie. Ce ne sont pas des héros, ni même des victimes qui nous sont montrés. C’est vous, c’est nous, prêts toujours à en découdre. C’est l’humain dans toute son absurdité.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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