Depuis combien de temps mijotiez-vous l’idée de présenter Toto au travers de l’Histoire ?
Cela faisait deux ou trois ans que l’idée me travaillait ! J’avais précédemment présenté un projet de petites histoires (5/6 pages) qu’un autre dessinateur aurait mis en images. Ces histoires auraient revisité la Grande Histoire mais à la mode Toto. Le projet n’a pas vraiment emballé mon éditeur. Je me suis donc dit : "Puisque la version longue ne plaît pas, je vais la faire sous forme de version courte, de gags". Je pense que c’est un bon choix, je me suis bien amusé à faire cet album et cela m’a effectivement permis de changer un peu d’univers tout en restant dans celui de Toto.
Chaque album de Toto se construit autour d’une année scolaire. Mais dans ce tome 10, tout se place durant le séjour dans un bibliothèque : une invitation au voyage pour les enfants en mal de lecture ?
Il fallait introduire ce voyage dans le temps que je proposais au lecteur. Le fait que ce soit dans une bibliothèque me semblait naturel. C’est encore un lieu de savoir, où on peut avoir accès à l’Histoire de l’homme, même si Internet devient un concurrent sévère en ce qui concerne la recherche et le traitement de l’information. Je pense que je n’aurai pas pu faire ce livre il y a dix ans. Niveau documentation, Internet m’a vraiment beaucoup aidé. Une invitation à la lecture ? Peut-être. En tout cas, je sais que beaucoup d’enfants lisent ou apprennent à lire dans Toto. Le côté historique va peut-être les faire voyager, en effet.
Quelle est l’importance de l’Histoire pour vous ?
Je crois qu’il est important de savoir d’où on vient pour savoir où on va. Je suis quelqu’un de très attaché à ses racines. Par curiosité, mais aussi pour éviter de répéter ses erreurs. Je ne suis pas un érudit, un historien d’académie. Mais l’histoire m’a toujours fait "rêver" et en tant que dessinateur, cette matière m’a fourni beaucoup d’images. Les dates n’étaient pas une chose que j’aimais apprendre, je préférais imaginer, reconstituer les évènements.
Une fois de plus, même s’il s’agit d’une série jeunesse, on est bluffé du soin que vous apportez à chaque dessin : de la lisibilité, mais beaucoup d’arrière-plan ! Chaque personnage vit vraiment l’action ! N’êtes-vous pas lassé de passer autant de temps pour des détails qu’une partie des lecteurs ne lira jamais ?
Beaucoup de détails, oui. Sans doute cela cache-t-il un manque d’assurance... Je veux m’assurer que le lecteur comprenne bien ce que je veux dire, mais il y a surtout beaucoup d’amusement à les faire. J’ai envie que le lecteur comprenne qu’il y a de la vie dans mes récits. Que certains ne voient pas le travail fourni, ce n’est pas important. Que d’autres prennent du plaisir à "entrer" dans ces images, c’est évidemment très gratifiant.
Par la même occasion, cette thématique historique agrandit votre lectorat, car les adultes trouvent des pistes de lecture complémentaires par rapport aux albums précédents. L’album devient d’ailleurs un vecteur intergénérationnel, car l’adulte peut expliquer à l’enfant les raisons de certains détails. Étiez-vous conscient de cette possibilité en réalisant l’album ?
Oui, quand j’ai fait ce livre, je me suis dit que certains enfants allaient avoir besoin de clefs pour comprendre le gag. L’Histoire n’est plus étudiée en classe comme il y a 20 ou 30 ans, les programmes ont ouvert la discipline aux autres continents. C’est légitime, mais cela s’est fait parfois au détriment de notre propre histoire. Cela ne doit pas être évident pour un enfant dont les grands-parents ont grandi en Afrique du nord, par exemple, ou pour un jeune Chinois ou un jeune Afghan arrivé récemment sur le territoire européen d’appréhender l’Histoire du pays dans lequel il vit. Cet album aidera peut-être certains à mieux le comprendre ou leur donnera envie d’aller plus loin. Des parents m’ont déjà dit lors de la parution de tomes précédents, qu’ils racontaient les blagues à leur gamins (le soir, avant d’aller au lit), je me suis dit que sur cet album-ci, ils seraient mis encore un peu plus à contribution.
Vous présentez un hommage marqué à "Il était une fois... l’Homme" qui marqua la génération des années 1980...
C’est un hommage à une série que j’ai vraiment beaucoup aimée. Je la suivais à la télé, ma maman m’achetait les albums (captures d’écran légendées). Bien avant le magnétoscope, le DVD et YouTube, je relisais et relisais ces livres. J’ai peut-être vu une ou deux fois chaque épisode, mais je les connaissais par cœur pour les avoir lus dans ces albums. Ici, avec mon dixième album, j’ai voulu me faire plaisir, comme dit plus haut, j’ai voulu rendre hommage, oui. Mais si, en plus, on pouvait rendre curieux (ou un peu plus curieux) les lecteurs, c’est mieux encore. Je ne dis pas “éduquer”, mais intéresser, faire poser des questions, c’est déjà un excellent début d’apprentissage.
Vous lancez une petite pique finale contre le livre numérique : une volonté d’afficher votre détermination à défendre le livre-papier ?
Ce dernier gag n’est pas une pique, mais une inquiétude. Va-t-il rester encore longtemps des livres, ailleurs que dans les bibliothèques municipales ? Les gens lisent toujours, mais le support change, ainsi que toute une économie. Comme pour la musique, le cinéma, le livre et la BD en particulier voit son mode de consommation remis en question. les auteurs voient leur revenu modifié, les éditeurs ne les rassurent pas trop, puisque eux non plus ne savent pas trop où ils vont, donc on tâtonne, on hésite, on essaie... Ce gag allait plutôt dans ce sens, et rappelle qu’en attendant, on peut se rabattre sur une valeur sûre, qui a fait ses preuves depuis plusieurs siècles, le livre !
Mais bon, évolution des techniques oblige, alors que ce livre portait un regard sur le passé des hommes (surtout l’évolution de l’éducation à travers les âges), cet album a été entièrement fait sur ordinateur. le seul papier utilisé l’a été pour imprimer les bandes dessinées.
Avez-vous déjà une idée parallèle pour le tome 11 ?
Je travaille sur le tome 11 qui traitera du sport à l’école et à la maison. J’avais déjà évoqué ce thème dans le tome 5 avec la piscine, et de temps en temps dans des gags dans la salle de gym, mais pas sur un album complet. Peut -être que pour le tome 20 (ou avant, je l’ignore), je ferai un album plus spécifiquement scientifique (avec des gags sur la chimie, la biologie, la physique, l’électricité, la géologie,...). Je crois qu’il y a matière rigolote. Par contre, faire un Toto Globe-trotter (voir le Boule et Bill) ou Toto qui visite les départements de France, me paraît moins drôle, même si cela n’empêche pas d’imaginer des gags de temps en temps sur ce sujet.
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay
(par Charles-Louis Detournay)
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