Récemment, nous soulignions le danger d’une parution simultanée d’une série principale avec son spin-off. Dans le cas de XIII, la comparaison se faisait au détriment de l’un des deux titres, les qualités de l’un contrastant avec les faiblesses de l’autre…
C’est loin d’être le cas ici. Dans Le Bateau-Sabre, non seulement, Yves Sente trousse un scénario habile, intelligent, articulé sur une épure dotée de retournements de situation très bien amenés, dignes des meilleurs récits de Jean Van Hamme, mais la couleur directe de Grzegorz Rosinski s’habille parfaitement des paysages de neige qui caractérisent cet album.
Nous sommes dans un Thorgal grand cru, une des bonnes surprises de la fin de cette année. Sans doute cette impression vient-elle que le « club des cinq » du précédent épisode est mis un peu au frigo au profit d’une histoire centrée sur le héros-titre. Elle retrouve aussitôt de sa vigueur, comme si la seule présence de Thorgal faisait toute la différence.
Cette impression n’est pas effacée par le spin-off qui l’accompagne, Les Mondes de Thorgal : Raïssa, scénarisé par le Bruxello-breton Yann et dessiné par le Russe Roman Surzhenko. Le scénario de Yann montre toute l’étendue d’un talent qui, paradoxalement, s’exprime ici mieux que dans son registre humoristique naturel.
En se saisissant de Louve, la fille d’Aaricia et de Thorgal, Yann réenchante la série en rappelant les liens entre science-fiction et mythologie, une recette inventée dans le tout-premier scénario de Jean Van Hamme pour Paul Cuvelier, Epoxy (1968), auquel un hommage est rendu par Yann –le référentiel fait homme- dans la séquence où Louve accède à une espèce d’Eden.
On y trouve aussi une autre référence à Cuvelier dans cette image paradisiaque : celle où Van Hamme, dans Corentin et Le Prince des Sables, montre une oasis cachée en plein désert.
L’autre surprise de cet album est le crossover (le scénario croisé) installé par Yann avec l’album paraissant dans la série principale, son pendant sur la table des nouveautés. Les scénaristes s’amusent, et nous aussi.
Le travail de Surzhenko est tout simplement stupéfiant. Le mimétisme avec le dessin de Rosinski est réussi sans qu’il ne cède une once de sa personnalité. Cela vient que nos deux dessinateurs venus de l’Est sont héritiers d’une solide école de dessin académique qui ne s’est pas encombrée des tics américains ou franco-belges. Avec pour résultat un trait sincère, certes pas aussi râblé que celui de Rosinski, mais sans erreur.
Découvert par les Humanoïdes Associés dans La Meute de l’Enfer (avec Thirault), remarqué ensuite dans le 5e tome de la série Les Carnets du Vatican de l’excellent Novy chez Soleil, le dessinateur russe est certainement une valeur à surveiller, comme disent les brokers. Celle-ci ne risque pas de s’effondrer.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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