Le 6 décembre dernier, Frédéric Taddéi invitait sur son plateau rien moins que Nick Rodwell, le patron de Moulinsart et grand ordonnateur de l’exploitation des droits de Tintin. Le thème de l’émission ? « Tintin, Astérix, James Bond, Yves Saint Laurent : y-a-t-il une vie après la mort du créateur ? »
La chose est assez rare : échaudé par des expériences médiatiques un peu calamiteuses, soucieux ces derniers mois à ne pas perturber la promo de l’adaptation cinématographique de Tintin par Spielberg & Jackson, peu désireux aussi d’avoir à se justifier sur une défaite juridique qui autorisait les parodies de Tintin, Rodwell s’était mis quelque peu en retrait de la scène médiatique. Et voilà que le "diable" ressort de sa boîte ? Que cela cache-t-il ? Quels sont les éléments déclencheurs de ce retour ?
Rappelons que Nick Rodwell a épousé en 1993 Fanny Remi-Vlamynck , la légataire universelle de l’œuvre d’Hergé. Il est l’administrateur de la société Moulinsart qui exploite commercialement les droits de Tintin. Outre le Musée Hergé qu’il a bâti sur les fonds propres de son épouse, il a réussi le pari incroyable de faire porter Tintin à l’écran à Hollywood par deux des tycoons les plus puissants de la machine cinématographique américaine Steven Spielberg et Peter Jackson. Le réalisateur du Seigneur des Anneaux programmerait la sortie du deuxième volet pour 2015...
Les conditions industrielles sont réunies
Ces dernières années, entre Rodwell et Casterman, c’était plutôt la guerre des tranchées version Tardi. Il aurait bien voulu récupérer le contrat de Tintin sur lequel Casterman campait avec détermination mais il n’y est jamais parvenu.
Or, récemment, l’atmosphère entre Casterman et Moulinsart s’est réchauffée. Il faut y voir le travail de Benoît Mouchart et l’arrivée de Gallimard à la tête de Casterman, mais aussi une courbe rentrante de Nick Rodwell qui a fini par prendre la mesure de la difficulté de gérer la chose éditoriale, même avec un éditeur aussi talentueux que Didier Platteau à la manœuvre aux éditions Moulinsart.
Les deux maisons annoncent même un principe de coédition autour des Cigares du Pharaon et d’éditions enrichies des Sept Boules de cristal et du Temple du Soleil, en attendant d’autres projets autour de l’œuvre de Hergé. De là à ce que le label Moulinsart passe purement et simplement sous la houlette de Casterman ? C’est bien possible car, depuis quelques années, après sa rupture avec la diffusion de Flammarion, le label de l’avenue Louise se retrouvait sans diffuseur...
Préparer l’opinion
Le deuxième déclencheur a été la décision prise par Albert Uderzo de laisser Astérix vivre de nouvelles aventures sous un autre crayon que le sien. Le nouvel album était à peine paru que Nick Rodwell annonçait la publication d’un nouveau Tintin en... 2052, afin de "protéger les droits d’Hergé" l’année précédent l’entrée de son œuvre dans le domaine public, c’est à dire disponible gratuitement à qui voudrait la diffuser...
Coup de bluff opportuniste ? Pas sûr. Dans une émission parfaitement complaisante où Frédéric Taddéï avait pris soin d’entourer Nick Rodwell d’intervenants fort peu critiques, l’homme d’affaires anglais laisse planer le doute.
Outre l’avocate de Moulinsart Me Florence Watrin, que la production a bien évité de présenter sous cette qualité, il y avait Gabriel Mazneff, écrivain dont l’amitié pour Hergé était bien connue, Alexandre Astier, homme de télévision dont les bandes dessinées sont publiées par Casterman, Frank Bondoux, directeur du FIBD, qui venait annoncer qu’il se mettait au service de la communication de Moulinsart lors de son prochain festival. En face, des juristes qui se sont vite noyés dans les détails juridiques, Émile Bravo, venu parler d’un personnage qui ne lui appartient pas, et Patrick Poivre d’Arvor qui est le seul à avoir posé la bonne question : "qu’est-ce Monsieur Rodwell nous mijote" ?
La "promesse" à Sadoul
La réponse a été filandreuse à souhait : Albert Uderzo, avançait-il en substance, n’est pas lié à une profession de foi adressée par Hergé à Numa Sadoul dans Tintin et moi, la célèbre interview publiée par Casterman en 1975 dans laquelle Hergé affirmait qu’il n’y aurait plus de Tintin après lui.
Or, c’est faux. Albert Uderzo, à plusieurs reprises, a affirmé qu’il n’y aurait plus d’Astérix après lui... avant de changer d’avis. Il avait en effet oublié que quelqu’un d’autre avait son mot à dire dans cette histoire : Anne Goscinny, l’héritière du scénariste du Gaulois. Cette dernière pensait, au contraire, qu’il était utile de prolonger la vie du personnage, de "ne pas exterminer le village"...
Rien, techniquement, n’empêche Fanny Rodwell de revenir sur la décision de son premier époux. C’est sa prérogative d’ayant-droit. Un nouveau Tintin n’enlèverait rien au Tintin d’Hergé, comme Astérix chez les Pictes n’enlève rien aux Astérix dessinés par Uderzo. Blake & Mortimer ou celui de Boule & Bill le démontrent : il y a aujourd’hui des graphistes assez habiles pour s’inscrire dans le sillage de n’importe quel dessinateur.
Reste la question du scénario : à qui le confier ? C’est un vrai challenge. Mais là encore, les scénaristes d’Hollywood ont montré que tout était possible. Il suffit de recueillir les projets et de faire un bon choix de script. Peut-être même que l’imaginatif Nick Rodwell se verrait bien au pupitre...
Il est clair en tout cas que cette question n’arrive pas là pour rien et que la probabilité de voir arriver un nouveau Tintin dans les prochaines années se rapproche de plus en plus, bien avant 2052.
Qu’en pensent nos lecteurs ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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