Sous un titre à la Auguste Lebreton, « Du rififi dans les phylactères », L’Express révèle un scoop dans son dernier numéro encore en kiosque jusque mercredi prochain [1] : Lewis Trondheim quitterait L’Association, le label qu’il a cofondé en 1990 avec Jean-Christophe Menu, Stanislas, Killofer, David B et Matt Konture ! Joann Sfar, de son côté, aurait annoncé, selon le même article, « qu’il ne publierait plus de livres à L’Association si Lewis Trondheim et David B n’y étaient plus. » L’hebdomadaire rappelle à juste titre le rôle historique que ce label joua dans les années 1990 en permettant l’émergence d’auteurs comme Marjane Satrapi, Joann Sfar, ou Emmanuel Guibert, tous primés à Angoulême. C’est le deuxième pilier important de ce label qui démissionne après le départ de David B en 2005. Selon cet article, ce sont « des divergences de vues éditoriales » qui seraient responsables de cette défection, « qui en annonce d’autres. » Cela arrive alors que Lewis Trondheim est consacré à Angoulême, précisément comme l’un des représentants charismatiques de la génération de créateurs qu’incarnait ce label.
Entre dérapages et polémiques
Nous ne sommes pas plus étonnés que ça par la tournure de ces événements. La crise était patente depuis de longs mois, l’animateur du label, Jean-Christophe Menu, multipliant les prises de positions agressives, entre dérapages et polémiques, notamment dans le pamphlet qu‘il a écrit, Plates Bandes, où il traînait dans la boue un éditeur comme Soleil à qui il reprochait la reprise, en joint-venture avec Gallimard, du label Futuropolis, (surnommé dans cet ouvrage « Faux-turopolis » ), ou encore dans la revue « critique » L’Eprouvette qui valut à l’éditeur un procès pour « injure », dont l’audience aura lieu le 15 novembre prochain. Cette atmosphère délétère et les crises régulières (notamment une très grave, selon nos sources, durant l’été 2004), avait entraîné le départ de David B en 2005. Ce fondateur de l’Association, en était, avec Lewis Trondheim, l’une des principales cautions artistiques. On lui doit notamment d’avoir découvert Marjane Satrapi, l’auteur de Persépolis.
Crise de croissance
Nous ne nous réjouissons pas de cette situation car elle est le signe d’une radicalisation de la crise dans le domaine de l’édition dite indépendante qui a été un ferment essentiel du renouveau de la bande dessinée de ces dernières années. Une crise de croissance d’abord, qui est celle d’une maison d’édition qui, peu à peu, perd son identité lorsque les auteurs qu’elle révèle et promeut font carrière ailleurs. C’est le cas pour la plupart des auteurs les plus notoires de ce label, Sfar, David B, Guibert, Blutch... « récupérés » par les grandes maisons. L’Association n’a pas pu conserver leur exclusivité faute de se donner les structures appropriées pour accompagner leur succès.
L’autre raison est la prise en tenaille d’un label comme celui-là entre les nouveaux et les anciens éditeurs déjà présents sur ce marché de plus en plus fructueux, notamment à l’international : Ego Comme X, Vertige Graphic, Cornélius, La Boîte à Bulles, Frémok, La Cinquième Couche, Des Ronds dans l’O, Le Cycliste, La Cafetière, etc., et les nouveaux entrants adossés à un groupe d’édition de littérature générale puissant comme Futuropolis (Gallimard), Denoël Graphic, Le Seuil, L‘An 2 (Actes Sud), Actes Sud, Hachette Littérature, ou la collection « Ecritures » chez Casterman. Ce sont les premières victimes de la surproduction. Pour résister, il faut des structures adaptées. Le conflit entre L’Association et ses auteurs-fondateurs, au-delà des possibles problèmes d’ego des uns et des autres, est probablement rendu plus aigu par cette nouvelle donne.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Lewis Trondheim à Angoulême. Photo : D. Pasamonik.
[1] N°2884, semaine du 12 au 18 octobre 2006.
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