L’ineffable Harry Morgan, l’auteur avec Manuel Hirtz du Petit Critique illustré (Editions PLG) [1] fait à notre avis la bonne analyse de la principale raison qui attire les analystes vers l’œuvre d’Hergé : « Il faut bien admettre aussi que la transparence de Hergé est une sorte d’invitation à y chercher quelque chose de caché. Cette rhétorique du secret traverse les études hergéennes, depuis les ouvrages de sémiologues jusqu’aux spécialistes de sciences occultes. »
Les raisons d’un engouement
Il ajoute aussitôt, pour mieux stigmatiser la polarisation absurde des études de la bande dessinée sur l’œuvre d’Hergé : « Comme on l’a noté humoristiquement, il manque seulement à ce jour Hergé et Rennes-le-Château, autrement dit, Hergé chez Dan Brown. Mais ça viendra. Un spécialiste de ces questions m’a déjà demandé ce que je savais à ce sujet. » [2].
Il y a un peu de ça dans la floraison des publications qui nous arrivent à chaque saison (comme quoi, Morgan ne dit pas que des conneries). Parmi les raisons certaines qui attirent vers Hergé les analystes de tout poil, on pourrait ajouter le constant succès de ce type d’analyse auprès d’un groupe de collectionneurs fidèles qui en assurent la rentabilité immédiate et surtout la notoriété d’une oeuvre qui permet au chercheur néophyte en BD, mais néanmoins expert dans sa spécialité, d’appliquer les outils de sa discipline à un corpus limité et connu de tous. Cette systématisation dans l’étude entraîne parfois des absurdités qui provoquent le sarcasme, mais qui énervent aussi, les spécialistes du 9ème Art.
La bibliothèque hergéenne s’agrandit (encore !)
Cela dit, quand ces études sont riches en enseignement et bien écrites, on aurait tort de s’en priver sous le prétexte que l’on « parle trop » du créateur de Tintin. Par ailleurs, on ne se lasse pas de revoir sous un jour nouveau des images que notre regard usé n’était plus capable de lire. C’est le cas pour deux publications des éditions Moulinsart autour de l’expo de Beaubourg Hergé(éditions Moulinsart/Centre Pompidou 1056 pages, 35€), un pavé un peu inspiré par des ouvrages du même type publiés aux éditions Taschen (sauf le prix…) et qui propose cette profusion d’images parfois éclairante. Un petit opuscule charmant et copieusement illustré, Les Mystères du Lotus bleu de Pierre Fresnault-Deruelle avec Jean-Michel Coblence (éditions Moulinsart, 9€) est également publié pour la circonstance et signale cet album crucial dans l’œuvre d’Hergé dont la totalité des planches est actuellement visible à Paris. Flammarion en profite pour ressortir en version de poche La Petite bibliothèque du tintinologue (Flammarion, Collection Champs, 29,50€) un coffret regroupant trois ouvrages incontournables du savoir hergéen : Hergé, fils de Tintin, la biographie-somme d’Hergé par Benoît Peeters, Les métamorphoses de Tintin de Jean-Marie Apostolidès, et Hergé, écrivain de Jan Baetens. Autre publication récente qui mérite qu’on y revienne : Le Rire de Tintin : Essai sur le comique hergéen (Editions Moulinsart, 19,5€) de mon ami Thierry Groensteen qui, Dieu merci, n’a pas affaire ici à une histoire d’Héroïc-fantasy, un genre à propos duquel il ne brille pas par la clairvoyance. [3]
De génération en génération
Dans le mode parodique et ludique, on ne manquera pas La Castafiore, la biographie non-autorisée d’Albert Algoud (Chiflet et Cie, 10€). Dans le domaine biographique, on se penchera sur le brillant ouvrage Hergé, collectionneur d’art de Pierre Sterckx (textes) et André Soupart (photos) qui nous montre un Hergé amateur de peinture, de dessin et de graphisme sous les yeux de l’un de nos critiques d’art les plus spirituels qui fut à la fois le conseiller et l’ami du maître bruxellois. Pour clore, il y a le charmant livre d’Olivier Delcroix, Générations Hergé( (Editions des équateurs, 16,90€) qui est une sorte de parcours initiatique sur les lieux du mythe hergéen avec quelques-uns des témoins de sa vie parmi lesquels Raymond Leblanc, Jacques Martin ou encore Tchang, le jeune sculpteur chinois qui fut son conseiller en chinusestuud [4]). C’est un petit livre subtil, d’autant plus que l’auteur rend un hommage à son père, un tintinophile passionné, récemment décédé. Il illustre bien combien l’œuvre d’Hergé a su faire passer son message de génération en génération.
On terminera cet article en signalant la parution en décembre dernier d’une revue « Hergé » destinée aux membres abonnés du Club Tintin et dont le premier numéro dispose d’un bonus sous la forme d’un DVD qui présente sept courtes séquences animées extraites des sept premières aventures de Tintin, des épisodes flash qui s’inspire des « films fixes » de Tintin visibles dans les patronages dans les années 1940. Comme on le constate, l’œuvre d’Hergé n’a pas cessé de générer de nouvelles passions ni, on l’espère, de nouveaux lecteurs.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
[2] Manuel Hirtz et Harry Morgan se congratulent, interview mutuelle (et auto-satisfaite) des auteurs à propos de leur ouvrage Le Petit Critique illustré que l’on peut lire sur le site d’Harry Morgan, The Adamantine.
[3] Pour comprendre mon allusion, lire mon article de Suprême Dimension de novembre 2006 intitulé Le Combat ordinaire de la critique de bande dessinée.
[4] « Chinoiseries » en bruxellois, par extension, comme en français, une chose compliquée.
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